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LE BANQUET

“Le point capital est que l’Amour, ni ne commet d’injustice ni n’en subit, ni de la part d’un dieu ni à l’égard d’un dieu, ni de la part d’un homme ni à l’égard d’un homme. C’est qu’il n’y a ni violence dont il pâtisse, s’il pâtit en quelque chose : car la violence ne met pas la main sur l’amour ; aucune violence non plus en ce qu’il fait et qui soit de son fait : car c c’est de bon gré que tous, en tout, se mettent aux ordres de l’amour. Or les choses sur lesquelles le bon gré s’accorde au bon gré, ce sont celles-là que proclament justes les Lois, reines de la Cité[1].

“En outre de la justice, l’Amour a en partage la tempérance la plus grande. La tempérance en effet consiste, de l’avis unanime, dans la domination sur les voluptés et les désirs. Or il n’y a pas de volupté plus forte que l’amour. Mais, si les autres, en tant qu’inférieures, sont sous la domination de l’amour, et si l’Amour ainsi est dominateur puisqu’il exerce sa domination sur des voluptés et des désirs, comment l’Amour ne serait-il pas d’une incomparable tempérance ?

“Passons au courage : avec l’Amour d Arès même ne peut pas rivaliser[2]. Car ce n’est pas Arès qui se saisit de l’Amour, mais l’Amour qui se saisit d’Arès, l’amour d’Aphrodite selon la tradition. Or celui qui saisit est supérieur à celui duquel il se saisit. Mais, le courage du dieu que domine l’Amour étant le plus grand qui soit, il faudra dire de l’Amour qu’il est courageux au suprême degré.

“Voilà donc traitée la question de la justice du dieu, de sa tempérance, de son courage. Reste celle de ses talents, ou de sa sagesse ; dans ces conditions donc on doit, autant que possible, s’efforcer de n’être en reste en rien. Et premièrement (car je veux, à mon tour, honorer mon art comme Éryximaque le sien), le dieu e est un poète habile au point de faire que d’autres le soient aussi : il n’est du moins personne qui ne devienne poète, fût-il même auparavant étranger aux Muses[3], une fois qu’Amour a mis sur lui la main. C’est de

  1. Sur ces « démonstrations », voir Notice p. lxix. — La citation provient, on le voit par Aristote Rhet. III 3, 1406 a, 18 sqq. (22 sq.) (cf. Notice p. xcii n. 1), du rhéteur Alcidamas, élève de Gorgias.
  2. Fragment d’un Thyeste de Sophocle (fr. 235 Nauck²).
  3. Vers-proverbe de la Sténébœa perdue d’Euripide, fr. 663 N.².