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LE BANQUET

lancer dans son discours, sur mon discours à moi, la tête même de Gorgias, l’orateur redoutable, et qu’en m’enlevant la voix il ne fit de moi, proprement, une pierre !


Critique d’ensemble des discours précédents.

“C’est alors que je me suis rendu compte à quel point j’étais ridicule quand je m’engageais envers vous à être des vôtres pour célébrer, en mon rang, la louange de l’Amour, et aussi quand je parlais d de moi comme d’un homme supérieur en matière amoureuse : moi dont l’ignorance, je l’ai bien vu, était complète quant à la question de savoir comment doit se célébrer la louange de quoi que ce soit ! J’étais assez stupide en effet pour m’imaginer qu’on doit, dans chaque cas, dire la vérité sur ce dont on célèbre la louange, et que cela est à la base ; puis, qu’en partant de ces vérités mêmes on doit faire un choix des plus belles, les disposer enfin dans l’ordre le plus convenable. J’étais donc plein d’orgueil à l’idée que j’allais bien parler, puisque je connaissais la vraie méthode pour faire l’éloge de quoi que ce fût. Mais, à coup sûr, ce n’était pas là, selon toute apparence, la belle manière de faire l’éloge de n’importe quoi ! C’était bien plutôt d’attribuer à l’objet e tout ce qu’on peut concevoir de plus ample et de plus beau, sans s’inquiéter de savoir s’il en est bien ainsi ou si cela n’est pas. Et puis, quand ce serait faux, la belle affaire après tout[1] ! Ce qui a été, semble-t-il, préalablement entendu, c’est que chacun de nous ferait mine de célébrer la louange de l’Amour, et nullement qu’il la célébrerait en effet. Voilà dès lors, je pense, pourquoi vous vous mettez l’esprit à la torture afin d’attribuer toutes choses à l’Amour ; pourquoi vous exaltez l’excellence de sa nature et la grandeur de ses effets : 199 c’est pour qu’il apparaisse manifestement le plus beau et le meilleur, aux yeux, cela va sans dire, des gens qui ne s’y connaissent pas ; car ce n’est pas, je suppose, aux yeux de ceux qui savent ! Ah ! voilà ce qui en est de l’éloge, dans son auguste beauté ! Mais, puisque c’est ainsi, je ne savais donc pas comment on s’y prend pour louer ; et c’est parce que je ne le savais pas, que je me suis engagé envers vous à prononcer un éloge, moi aussi et à mon rang.

  1. Distinction des points de vue philosophique et rhétorique.