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LE BANQUET

qui a bonne santé, d’être en bonne santé… Car peut-être se trouverait-il quelqu’un pour se figurer, en ce qui concerne ces qualités et toutes leurs analogues, que ceux qui en sont doués et qui les possèdent c ont, en outre, envie des qualités que précisément ils possèdent. Ne nous laissons donc pas abuser[1] ; c’est à ce but que tend mon langage. Oui bien sûr, Agathon, si tu réfléchis à ces qualités, tu penseras que posséder présentement chacune d’elles est une nécessité pour ceux qui les possèdent, qu’ils le veuillent ou non ; et cela précisément, qui pourrait le désirer ? Que quelqu’un vienne au contraire nous dire : « Moi qui suis en bonne santé, je n’en souhaite pas moins d’être en bonne santé ; moi qui suis riche, je n’en souhaite pas moins d’être riche ; et je désire les choses mêmes que je possède. » Nous lui répondrions : « Toi, bonhomme, tu as à toi richesse, santé, d vigueur ; c’est pour la suite du temps que tu souhaites d’avoir encore ces choses à toi ; pour le moment présent, que tu le veuilles ou non tu les as ! Examine donc, quand tu dis : Je désire ce que j’ai, si ces mots ne veulent pas dire simplement ceci : Je tiens à voir les choses, qui sont pour l’instant présentes, être présentes encore dans le temps qui suivra ! » Refuserait-il d’en tomber d’accord ?” Ce fut aussi, continuait Aristodème, l’opinion d’Agathon. Socrate reprit donc : “Est-ce que ce n’est pas en cela, précisément, que consiste l’ardent amour de ce qui n’est pas encore à notre disposition, de ce qui ne nous est pas encore présent, savoir que, dans le temps qui suivra, ces qualités-là nous soient e conservées et présentes[2] ? — Hé ! absolument, fit-il. — En résumé, dans ce cas comme dans tout autre où l’objet du désir, pour celui qui éprouve ce désir, est quelque chose qui n’est point à sa disposition et qui n’est pas présent, bref quelque chose qu’il ne possède pas, quelque chose qu’il n’est pas lui-même, quelque chose dont il est dépourvu, c’est de cette sorte d’objets qu’il a désir tout comme amour. — Hé ! absolument, dit Agathon.

  1. Agathon a donné (b déb.) son assentiment au principe. Mais cela ne suffit pas : pour bien s’entendre, il faut encore dissiper les équivoques que le langage peut créer : ainsi, de dire qu’on aime à posséder tel bien que l’on possède. Mais un tel désir ne porte réellement que sur l’avenir.
  2. Rester ce qu’on est, garder ce qu’on a, c’est l’avenir, non le