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LE BANQUET

— En conséquence, reprit-elle, est-il possible, ceci posé, de dire tout simplement que les hommes aiment ce qui est bon ? — Oui, dis-je. — Mais quoi ! Ne faut-il pas ajouter, poursuivit-elle, qu’ils aiment en outre que le bon leur appartienne ? — On doit l’ajouter. — Et alors, fit-elle, non pas seulement que le bon leur appartienne, mais que ce soit toujours ? — Cela aussi, on doit l’ajouter. — Voici donc en résumé, conclut-elle, à quoi se rapporte l’amour : à la possession perpétuelle de ce qui est bon[1]. — Rien, dis-je, de plus vrai que tes paroles !

— Maintenant qu’il est acquis, reprit-elle, que c’est toujours b en cela que consiste l’amour, dis-moi, chez ceux qui poursuivent cet objet, par rapport à quel genre de vie, dans quelle sorte d’activité, y aurait-il lieu de donner à leur zèle et à l’intensité de leur effort ce nom d’amour ? Quelle peut bien être cette manière d’agir[2] ? Es-tu à même de le dire ? — Dans ce cas, Diotime, répondis-je, je ne serais sûrement pas en admiration devant ton savoir, et je ne me mettrais pas à ton école[3] avec l’intention de m’instruire sur cela même ! — Eh bien ! dit-elle, c’est moi qui te l’enseignerai. Cette manière d’agir, vois-tu, consiste en un enfantement dans la beauté, et selon le corps, et selon l’âme. — Il faut de la divination, m’écriai-je, pour comprendre ce que peuvent signifier ces paroles, et je ne devine pas ! — Eh bien ! répliqua-t-elle, je c te l’enseignerai plus clairement. Une fécondité, vois-tu, Socrate, existe, dit-elle, chez tous les hommes : fécondité selon le corps, fécondité selon l’âme, et, quand on en est venu à un certain âge, alors notre nature est impatiente d’enfanter. Or cet enfantement lui est impossible dans de la laideur, mais non

  1. Cf. Notice p. lxxxiii. — Il a été établi que ce qui est aimé, c’est ce dont on manque ou ce dont l’avenir risque de nous priver (200 a-e). L’idée se développe ici : cet objet de l’amour, c’est un bien, un bien nous appartenant, et enfin pour toujours. Ce dernier progrès de la pensée est, par l’idée d’enfantement (b fin), un acheminement à la définition de l’amour par le désir de l’immortalité (207 a sqq.).
  2. Quel est l’objet de l’amour ? La réponse a paru embarrassante, 204 d sqq. Maintenant qu’on l’a trouvée par rapport à l’amour en général (205 a sqq.), il sera possible de spécifier.
  3. Socrate fait mine (ironie) d’être venu vers Diotime comme à