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LE BANQUET

cause, aussi bien pour les effets dont tu parles que pour tout ce qui encore a trait aux choses de l’amour. — Or donc, dit-elle, si tu es bien convaincu que l’objet de l’amour est par nature celui que nous disons et sur lequel, à plusieurs reprises, nous nous sommes mis d’accord[1], il n’y a pas là de quoi t’émerveiller ! Car dans le cas présent d le raisonnement sera le même que dans l’autre[2] : la nature mortelle cherche, selon ses moyens, à se perpétuer et à être immortelle ; or le seul moyen dont elle dispose pour cela, c’est de produire de l’existence, en tant que perpétuellement à la place de l’être ancien elle en laisse un nouveau, qui s’en distingue. À preuve cela même qu’on appelle la vie individuelle de chaque vivant et son identité personnelle, c’est-à-dire le fait que, de son enfance jusqu’au temps de sa vieillesse, on dit qu’il est le même individu ; oui, en vérité, cet être, qui en lui n’a jamais les mêmes choses[3], on l’appelle néanmoins le même ! alors qu’au contraire perpétuellement, mais non sans certaines pertes, il se renouvelle, dans ses cheveux, dans sa chair, dans e ses os, dans son sang, bref dans son corps tout entier.

« En outre ce n’est pas vrai seulement du corps, mais aussi, en ce qui concerne l’âme[4], de nos dispositions, de notre caractère, des opinions, des penchants, des plaisirs, des peines, des craintes ; car en chaque individu rien de tout cela ne se présente identiquement : il y en a au contraire qui naissent et d’autres qui se perdent. Ce qu’il y a toutefois de beaucoup plus déroutant encore que tout cela, c’est ce qui se passe pour les connaissances. Non seulement il y en a qui naissent en nous 208 et d’autres qui se perdent, si bien que pour ce qui est de nos connaissances nous ne sommes non plus jamais les mêmes ; mais en outre chaque connaissance individuellement a le même sort. Car ce qu’on appelle « étudier » suppose que la connaissance peut nous quitter[5] ; l’oubli est en effet le départ d’une connaissance, tandis qu’en revanche

  1. Ces multiples assentiments sont, je crois, ceux dont la succession et le progrès ont été notés p. 60, 1, et ils ne concernent en rien d’autres prétendus entretiens de Socrate avec Diotime.
  2. La comparaison est entre 206 b-207 a et le morceau qui suit.
  3. La même idée est esquissée Phédon 87 d fin et Timée 43 a.
  4. Application de la thèse au second des cas distingués 206 b.
  5. Étudier, c’est ici entretenir son savoir, c’est-à-dire revivifier ses