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LE BANQUET

l’étude, créant en nous un souvenir tout neuf à la place de celui qui se retire, sauve la connaissance et fait qu’elle semble être la même. C’est, vois-tu, de cette façon que se sauvegarde toute existence mortelle : non pas en étant à jamais totalement identique comme est l’existence divine, mais en faisant que b ce qui se retire, et que son ancienneté a ruiné, laisse après soi autre chose de nouveau, pareil à ce qui était. Voilà, dit-elle, par quel artifice, dans son corps comme en tout le reste, ce qui est mortel, Socrate, participe à l’immortalité[1] ; pour ce qui est immortel, c’est d’une autre manière[2]. Par conséquent tu n’as pas à t’émerveiller que tout être fasse naturellement cas de ce qui est une repousse de lui-même ; car c’est en vue de l’immortalité que sont inséparables de chacun ce zèle et cet amour. »

“Moi, c’était d’entendre ce langage, qui me remplissait d’étonnement ! Et, prenant la parole : « Halte-là ! m’écriai-je, est-ce bien véritablement ainsi, ô très docte Diotime, que se comportent les choses ? » c Et elle, de me répondre avec un ton doctoral du meilleur aloi : « Sois en bien persuadé, Socrate : la preuve, c’est que pour les hommes, si tu veux bien jeter un coup d’œil sur leur ambition, elle te paraîtra prodigieusement déraisonnable, à moins de te bien pénétrer de ce que je t’ai dit[3] et de réfléchir à l’étrange état où les met l’amoureux désir de se faire un nom et de s’assurer pour l’éternité des temps une gloire impérissable[4] : pour cette fin-là ils sont

    souvenirs en les rafraîchissant. Il ne semble donc pas que, dans la suite, les mots un souvenir soient, comme on le dit, une interpolation ou une corruption. La connaissance ne s’abolit-elle pas par l’oubli, qui est lui-même abolition du souvenir ? C’est donc en se défendant contre l’oubli qu’on sauvegarde la connaissance.

  1. C’est-à-dire, pour ce qui est immortel de nature, en ayant l’identité absolue. Si, avec plusieurs éditeurs, on change athanaton en adunaton, le sens est : mais c’est impossible d’une autre manière.
  2. Pour ceci (jusqu’à 309 a), cf. Lois IV 721 bc. Il est possible aussi qu’Aristote se soit souvenu de ce passage dans son De anima II 4, 415 a, 26-b, 7.
  3. Si l’on adopte une ingénieuse correction de Wilamowitz, on traduira : …je m’étonnerais, moi, de ta sottise si, après avoir réfléchi à…, tu ne comprenais pas ce que j’ai dit. Mais cette conjecture ne semble pas indispensable (cf. Notice p. lxxxviii).
  4. On ne sait de qui est ce vers. Peut-être de Platon, parodiant