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LE BANQUET

même temps, le voilà qui se retourne et qui voit Socrate. À cette vue, il eut un sursaut de recul, avec cette exclamation : “À moi Hercule[1] ! quelle aventure, voilà Socrate ! Encore un guet-apens que tu m’as tendu[2], posté là sur ce lit, c apparaissant brusquement, selon ta coutume, aux endroits où, moi, je m’attendais le moins à te rencontrer ! Réponds-moi : qu’es-tu venu faire ici ? Autre chose : pourquoi est-ce à cette place que tu es allongé ? Bien entendu, ce n’est pas auprès d’Aristophane que tu t’es installé, ou de tout autre pareil farceur, de fait ou d’intention ! Mais tu as fait des pieds et des mains pour que ce fût auprès du plus beau de ceux qui sont dans cette salle !”

« Alors Socrate : “Vois à me défendre, Agathon, vu que, dit-il, l’amour de cet homme-là n’est pas pour moi une mince affaire[3] ! Depuis le temps en effet que je me suis amouraché de lui, il ne m’est plus permis, ni d de porter les yeux sur un seul beau garçon, ni de m’entretenir avec aucun, sans qu’il me jalouse et m’envie, se livrant à d’incroyables excès et m’injuriant ; à peine s’il ne me tombe dessus à bras raccourcis ! Prends donc garde à présent qu’il ne se livre à quelque nouvel excès : tu devrais plutôt nous réconcilier, ou bien, dans le cas où il en viendrait à la violence, être mon défenseur ! Car ce sont aussi bien ses fureurs que sa passion d’aimer, qui me font frémir d’une peur terrible ! — Ah mais non ! s’écria Alcibiade : entre toi et moi point de réconciliation[4] ! Les paroles que voilà, une autre fois je t’en châtierai… Pour le moment, ajouta-t-il, passe-moi, Agathon, de ces bandelettes, que e j’enguir-

    celui-là vînt s’asseoir. Dans les deux cas le même pronom grec désignerait, ici Alcibiade, et là, Agathon. C’est impossible, dit-on. Aussi préfère-t-on parfois la leçon du Papyrus : pour qu’il pût apercevoir celui-là, bien voir Agathon. Mais n’est-ce pas la reprise fautive du même mot deux lignes supra ? L’expression est en outre faible et vague. Je comprends : pour que celui-là fît asseoir [l’autre].

  1. En un tel danger, il a besoin du dieu fort ; cf. Phédon 89 c.
  2. Alcibiade est le gibier que chasse Socrate (Protagoras déb.).
  3. Allusion possible à l’écrit où Polycrate imputait à Socrate les fautes d’Alcibiade, victime de son affection pour lui (Notice p. x sq.).
  4. Alcibiade fait à Socrate une scène de jalousie : il le tient pour son amant, et il lui reproche ses infidélités, comme aussi sa jalousie