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LE BANQUET

-vous une idée, Messieurs les banqueteurs ? Sachez-le : ni la beauté d’autrui ne l’intéresse en rien, mais il e la méprise au contraire à un point dont on ne peut avoir idée ; ni sa richesse ; ni la possession de tel ou tel autre de ces avantages qui sont aux yeux de la foule une enviable félicité ; mais il estime que tous ces biens n’ont aucune valeur, et que nous ne comptons nous-mêmes pour rien : tenez-vous pour avertis ! D’autre part, avec les gens, il passe toute sa vie à faire le naïf et l’enfant[1]. Mais, quand il se met à être sérieux et que le silène s’est entr’ouvert, y a-t-il quelqu’un qui alors ait vu les figurines qu’enferme l’intérieur ? Je ne sais. Mais à moi il m’est arrivé déjà de les voir, et je les ai trouvées tellement divines, d’une substance si précieuse, d’une beauté si complète, 217 si extraordinaires enfin[2], qu’il n’y avait qu’à m’exécuter sur l’heure en tout ce que Socrate me commanderait !

Sa tempérance.

“Or, comme je croyais à son sérieux quand il parlait de la fleur de ma beauté, je crus qu’il y avait là pour moi une aubaine et une merveilleuse bonne fortune : j’avais le moyen, en accordant à Socrate mes faveurs, de l’entendre me dire tout, oui, tout ce qu’il savait ! Car sur cette fleur de ma beauté j’avais, cela va de soi, une opinion extraordinairement avantageuse ! Donc, ces réflexions faites, alors que jusque-là je n’avais pas coutume de me trouver tout seul avec lui sans la présence d’un serviteur, cette fois là, mon serviteur congédié, je me trouvais seul avec lui… b Vis-à-vis de vous, je ne l’oublie pas, il faut dire toute la vérité ; eh bien ! écoutez-moi attentivement, et toi, Socrate, si je mens, confonds-moi ! Ainsi donc, Messieurs, nous nous trouvions seul à seul : je m’attendais qu’il m’entretiendrait tout aussitôt de cela même qui, pour un amant en tête-à-tête avec ses amours, doit être l’objet de leur entretien, et je m’en réjouissais. Mais non ! rien de tout cela ne se produisit. Bien au contraire : sa conversation avec

    Alcibiade s’interromprait-il ici pour rappeler que, pour l’apparence physique, Socrate est pareil aux Silènes (cf. 215 b) ? C’est à l’idée de l’ignorance que se lie l’assertion : chez Socrate elle n’est qu’une frime, qui cache sa sagesse intérieure comme l’apparence silénique dissimule les images divines. Voir Notice p. cv.

  1. C’est l’ironie, l’ignorance feinte ; 218 d s. fin., 219 a in.
  2. De ce morceau et du passage très semblable de 221 d sqq. Rabelais a tiré le célèbre début du Prologue de Gargantua.