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LE BANQUET

il n’y a que le résultat qui compte : déshonoré par la fin qu’il poursuit, cet amour est berné et bafoué s’il la manque ; de toute façon il révèle chez l’agent l’absence de désintéressement. Ce que l’autre manifeste au contraire, alors même qu’il est complètement déçu dans ses espérances, c’est son aspiration désintéressée vers le bien, ce sont les efforts de sa bonne volonté (184 b-185 c).

Tel est, dans ses lignes essentielles, le subtil et spécieux plaidoyer de Pausanias en faveur de l’amour masculin. Les paroles dédicatoires qui le terminent peuvent être simplement l’expression d’une feinte modestie. Il n’est pas impossible cependant qu’elles cachent une intention de Platon. Ce plaidoyer si savamment articulé, cet exemple si complet de rhétorique raisonneuse et logicienne, c’est là, dit l’orateur, tout ce que l’improvisation lui a permis de donner ! Le contraste de cette formule d’excuse avec la réalité du discours est si violent qu’une question s’impose : ce discours ne dérive-t-il pas de quelque apologie sophistique de l’Amour ? n’est-ce pas, à la fois pour maintenir la fiction et par un jeu d’ironie, que Platon s’amuse à en souligner le caractère soi-disant improvisé (cf. p. lxxi) ? Quant à vérifier l’hypothèse, quant à savoir si vraiment il existait, de Pausanias ou d’un autre, une apologie où s’exprimaient ces idées, c’est là, comme je l’ai dit (p. xxxiv sq., xlii), une chose qui paraît actuellement impossible. — Quoi qu’il en soit, le discours de Pausanias est certainement un morceau remarquable. Le masque de moralité affinée sous lequel il dissimule une dépravation sensuelle de la nature, Platon l’a fait tomber dans les Lois (cf. supra) : d’après lui, c’est sur la base de l’instinct naturel qu’il faut édifier la morale sexuelle, tandis que Pausanias affecte hypocritement de trouver dans une convention artificieuse et antinaturelle un moyen d’épurer la nature et de s’évader du domaine des instincts. Toutefois on ne doit pas méconnaître ce qu’il y a d’intéressant dans la façon dont il déguise ses fins véritables : dans le développement qu’il a donné à son formalisme moral (cf. p. 15, n. 3) il a rencontré en effet quelque unes des idées caractéristiques de cette conception : l’idée d’autonomie, l’idée de bonne volonté. Mais justement, en considérant sur cet exemple à quoi on peut être conduit si l’on fait abstraction de la matière ou de l’objet de l’action, pour n’en regarder que la forme, on se