Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/108

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
xcviii
PHÈDRE

qu’à chercher des plaisirs contre nature[1]. Mais il en est, tout au contraire, chez qui la vue du bel objet renouvelle les émotions que dans la vie préempirique donnait à leur âme la contemplation de la réalité vraie de la Beauté. Ils sont, en face de lui, comme en face de leur dieu ; tour à tour ils frissonnent et ils brûlent. C’est que de l’aimable émane une chaleur sous l’action de laquelle fond ce qui en leur âme s’était figé et durci, de sorte qu’à l’aile est ainsi donné un élan de vitalité.

D. — Pour qu’il en soit ainsi, une condition est pourtant nécessaire (251 c 6 sqq.) ; c’est qu’entre ce foyer de chaleur et l’âme de l’amoureux rien ne vienne s’interposer. Dans le cas contraire, l’âme déjà prête à s’envoler sent se briser son élan ; elle souffre cruellement, mais elle est dans le même temps joyeuse parce qu’elle pense au bien-aimé. Ce conflit de sentiments la déconcerte, elle ne sait plus où elle en est ni comment sortir de cette contradiction[2]. Dans l’espoir d’y mettre un terme, elle s’emploie avec ardeur à se rapprocher le plus possible de l’objet vers lequel elle tend ; elle travaille, au mépris de tout ce qui l’en pourrait détourner, à se mettre dans la dépendance complète de l’aimé, afin de ne plus souffrir et de réaliser au contraire la plénitude de sa joie[3].

  1. Ce serait une nouvelle preuve que Platon, tout en parlant le langage de l’amour masculin qui est familier à son milieu, y voit cependant une honteuse aberration ; cf. 256 c 3 sq. et Banquet Notice p. xlv-xlvii.
  2. Cf. p. 46 n. 2 et Banquet Notice, p. cii sq. — Le rapprochement de l’atopia et de l’aporia suggère, une fois de plus, l’idée d’une étroite parenté entre l’amour et la philosophie. La conduite de l’amoureux est si étrange qu’elle déroute son entourage (Banquet 182 e-183 c) et il est lui-même dérouté par un étrange dissentiment intérieur (ibid. 216 c). De même Socrate, c’est-à-dire le philosophe, déroute tout le monde par son étrangeté, mais il ne se sent pas moins dérouté lui-même par lui-même (Ménon 80 cd). De là l’embarras où ils sont, amoureux ou philosophe ne sachant comment trouver le chemin qui les mènera à leur but (Banquet 219 d fin, Ménon 80 d). La naissance d’une vérité dont on porte en soi-même la promesse suppose justement, à la racine de la maïeutique, ce sentiment d’embarras intérieur (Ménon 84 a, Théét. 151 a, d).
  3. Sur la « vague de désir », par quoi j’ai tenté de rendre le sens étymologique attribué par Platon au mot himéros, cf. p. 46 n. 1 et infra 255 c déb. — Quant à l’impertinence du second des vers cités