Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome IV, 3 (éd. Robin).djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
242 d
29
PHÈDRE

Une palinodie expiatoire est nécessaire.

Socrate. — Du moins ce n’est pas celle du discours de Lysias, ni non plus du tien — de celui que e tu as prononcé par ma bouche, une fois celle-ci ensorcelée ! Mais Amour, s’il est (ce que réellement il est) un dieu ou bien quelque chose de divin, ne saurait être quelque chose de mauvais. Or c’est ainsi qu’il a été caractérisé par les deux discours qui viennent d’être prononcés à son sujet ; tous deux en cela ils péchaient donc envers Amour. Et de plus ils sont, l’un et l’autre, d’une niaiserie absolument exquise : alors qu’ils ne disent rien de sain ni de vrai, ils se font gloire d’être quelque chose, si d’aventure 243 ils doivent faire illusion à je ne sais quels bouts d’homme et s’être acquis auprès d’eux de la réputation ! C’est donc pour moi une nécessité de me purifier. Or il y a, pour ceux qui pèchent en matière de mythologie, une antique purification dont Homère, lui, ne s’est point avisé, mais bien Stésichore[1]. Privé de la vue pour avoir médit d’Hélène, il ne partagea pas l’incompréhension d’Homère : il avait de la culture, il comprit la raison et il se hâta de composer les vers que voici : « Il n’y a pas de vérité dans ce langage ! — Non, tu ne montas point sur les nefs bien pontées, — non, tu ne vins pas b au château de Troie ! » Et, quand il eut achevé de composer la Palinodie (c’est le titre du poème), sur le champ il recouvra la vue. En effet je montrerai, moi, plus d’habileté que ces gens-là, sous ce rapport du moins : je vais en effet, sans attendre quelque disgrâce pour avoir médit d’Amour, m’efforcer de lui payer ma « palinodie », avec la tête à découvert et non pas en m’encapuchonnant, comme de honte je le faisais tout à l’heure.

    allusion au discours de Diotime : Amour est démon et non dieu, fils non d’Aphrodite, mais de Poros et de Penia (Banquet 202 d-203 c).

  1. Stésichore (première moitié du vie s.) avait, au début de son poème La destruction d’Ilion, durement parlé d’Hélène, « la femme aux deux, aux trois maris, l’infidèle épouse ». Puisque c’était Aphrodite qui punissait Tyndare en donnant à la vertu de sa fille une telle fragilité, à son tour l’innocente héroïne était en droit de punir ceux qui, comme Homère et Stésichore, lui reprochaient sa conduite (cf. A. Diès Autour de Platon, p. 108 sq.). Mais le second, étant un lyrique, donc un musicien (et le philosophe n’est-il pas, pour Platon, le parfait musicien [Phédon 61 a] ?), comprit qu’il avait péché et en quoi. D’où sa rétractation : ce n’est pas Hélène, c’est son fantôme qui a