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NOTICE

une remarque se présente à l’esprit : en nous tous, deux façons de voir se distinguent qui gouvernent notre conduite, et, corrélativement, deux tendances de notre activité. L’une, qui est instinctive et étrangère à la raison, est le désir du plaisir, lequel est jugé être le bien. L’autre, qui est une acquisition de la réflexion raisonnante et raisonnable, est le désir du meilleur. Parfois elles sont concordantes, parfois discordantes, et alors c’est tantôt l’une qui domine, tantôt c’est l’autre : tantôt nous gardons la mesure, tantôt nous la dépassons, nous sommes tempérants ou intempérants[1]. Or l’absence de mesure a justement, dans la langue, une pluralité de dénominations, grâce à laquelle nous pouvons aisément y distinguer une pluralité de formes ; car c’est la prédominance de telle de ces formes en un caractère qui lui vaut le nom dont on le qualifie. Ainsi, nous ferons une classification où nous ayons chance de découvrir, entre toutes les espèces du désir, celle qui comporte particulièrement l’emploi de ces deux expressions : « être amoureux », « ne pas l’être » ; c’est là en effet ce que nous cherchons (cf. 238 b 8). Gloutonnerie, ivrognerie sont données comme exemples de ces formes obsédantes et passionnées du désir, qui sont décelées par le nom qu’on donne au type d’homme où elles prédominent. Or, on appelle « amoureux » celui en qui est prédominante, par rapport à l’aspiration raisonnée et raisonnable vers le meilleur, une impulsion non raisonnée et déraisonnable vers la beauté, désir irrésistible parce qu’il se renforce d’autres désirs du même groupe qui tendent spécialement à la beauté du corps, et c’est ce désir qu’on nomme spécialement « amour ».

Cette première partie vaut qu’on s’y arrête. Elle évoque invinciblement tout d’abord le souvenir du Banquet (cf. p. 19, n. 1). L’amour, y était-il dit, est amour de quelque chose ; ce quelque chose, il le désire ; c’est ce qui est beau, et si l’on dit « bon » au lieu de « beau », on voit tout de suite que

  1. Les termes dont se sert Platon sont sôphrosynê et hybris. Le dernier se rend bien par démesure. Mais le premier est difficile à traduire dans toutes nos langues modernes : c’est une sagesse, mais principalement pratique, et surtout faite de mesure, de sorte que modération ou tempérance sont, en fin de compte, des équivalents assez exacts.