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CRATYLE

car j’arrive au couronnement de mon exposé, quand nous aurons examiné, après l’art (tekhnê), l’activité industrieuse (mêkhanê). Mêkhanê me semble indiquer le fait de parvenir à un résultat (anéïn[1]) étendu. Car le mot mêkos désigne la grande étendue. Voilà donc les deux éléments, mêkos et anéïn, qui composent le nom de mêkhanê. Mais, je le répète, il faut arriver au couronnement de notre exposé : ce que signifient les noms d’arétê (vertu) et de kakia (vice), il s’agit de le rechercher. Dans l’un b je ne vois pas encore clair, mais l’autre me semble transparent : il s’accorde en effet avec tous les précédents. Puisque les choses se meuvent, tout ce qui va mal (kakôs ion) sera vice (kakia). Et quand l’âme est le siège de ce mouvement mauvais vers les choses, c’est surtout alors qu’il porte l’appellation de vice donnée à l’ensemble. Mais ce mouvement mauvais, en quoi peut-il consister ? Il le fait voir, je crois, dans la lâcheté (déïlia), qui n’a pas encore été soumise à notre analyse, et que nous avons sautée, quand il eût fallu l’examiner c après la bravoure[2] ; je crois, du reste, que nous avons sauté aussi beaucoup d’autres noms. Quoi qu’il en soit, déïlia désigne un lien qui enchaîne l’âme fortement ; car lian (très) exprime une force. La lâcheté (déïlia) sera donc un lien (desmos), le lien fort (lian) et le plus puissant de l’âme ; de même aussi que l’embarras (aporia) est un mal, et, semble-t-il, tout ce qui fait obstacle au mouvement et à la marche (poreuesthaï). Aller mal (kakôs iénaï) semble donc désigner la marche gênée et entravée ; quand l’âme en est atteinte, elle s’emplit de vice (kakia). Si c’est à ces conditions que s’applique le nom de kakia, le contraire sera arétê (vertu). Ce nom signifie d’abord l’aisance de la marche, puis d le cours, toujours libre, de l’âme bonne ; bref, c’est ce qui coule toujours (aéï rhéon) sans gêne et sans obstacle qui a été, semble-t-il, qualifié de ce nom. Il est juste de l’appeler aéïrhéïtê, mais peut-être l’auteur veut-il dire haïrétê (préférable), pour indiquer que cette disposition est préfé-

    boire après la bataille : « Ne m’offre pas de vin à la douceur de miel, mère auguste, pour ne pas énerver ma force, ni me faire oublier mon ardeur et ma vaillance. »

  1. Ἄνειν est synonyme de ἀνύειν, ἀνύτειν. Voir Odyssée, III, 498, ἦνον ὁδόν : ils accomplirent le trajet.
  2. Le mot ἀνδρεία (bravoure) a été examiné plus haut 413 e, et tiré de « ἀνρεία ».