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CRATYLE

d’éclairer le lecteur sur le peu de valeur qu’il faut y accorder. Que ce médiocre devin et les gens de son milieu ne soient pas le véritable objet de ses attaques, il le laisse d’ailleurs entendre quand il fait dire à Cratyle (428 c) : « Tes oracles, Socrate, sont tout à fait à mon goût, que tu tiennes ton inspiration d’Euthyphron ou de quelque autre Muse ».

Faut-il songer aux sophistes ? Tout au début du Cratyle Socrate, consulté sur l’ὀρθότης, déclare qu’il saurait répondre, si ses moyens lui avaient permis de suivre les leçons à cinquante drachmes que Prodicos donnait sur la question (384 bc). Mais il n’a pu les entendre, et c’est par ses propres moyens qu’il va chercher, de concert avec Hermogène, la solution du problème. Il semble donc que Prodicos soit hors de cause. Sans doute, ce pourrait être là un simple détour ; Socrate devait avoir eu un écho des enseignements de Prodicos, et Horn[1] considère comme probable que c’est lui qui est visé dans la partie étymologique. Mais rien ne prouve que ce sophiste, particulièrement soucieux, comme on sait, de la propriété du langage et attentif à distinguer les synonymes[2], se soit occupé d’étymologies, ni ait étudié la justesse des noms au sens où elle est examinée dans le Cratyle[3]. La remarque de Socrate a plutôt l’air d’une boutade malicieuse, amenée et rendue presque inévitable par la mention de l’ὀρθότης.

Si le nom de Prodicos ne figure qu’incidemment dans le dialogue, celui de Protagoras y revient à plusieurs reprises. Socrate s’arrête assez longuement, pour la réfuter (385 e-386 a), sur sa thèse de « l’homme-mesure ». Il montre qu’elle est inconciliable avec sa propre thèse : le nom a un être propre qui ne dépend pas de nous. Protagoras avait-il une doctrine sur le problème de la justesse des noms[4] ? On sait

  1. O. l., p. 39.
  2. Stallbaum, o. l., p. 16. Voir le Protagoras, 377 a sq., et l’Euthydème, 277 e.
  3. O. Apelt, o. l., 1922, Einleitung, p. 3.
  4. Socrate veut démontrer contre Hermogène que les noms ont une justesse naturelle ; or, pour y parvenir, il fait voir que la thèse de l’homme-mesure est inacceptable. Doit-on en induire que les vues d’Hermogène sur la justesse des noms étaient celles de Protagoras ?