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CRATYLE

chacun, que parmi nous les uns soient raisonnables et les autres déraisonnables[1] ?

Hermogène. — Non certes.

Socrate. — Et ainsi, j’imagine, tu es tout à fait d’avis, puisqu’il y a une raison et une déraison, qu’il est tout à fait impossible que Protagoras ait dit vrai. Car l’un ne saurait point sans doute être plus raisonnable que l’autre, si les opinions de chacun sont pour chacun d la vérité.

Hermogène. — C’est cela.

Socrate. — Mais tu n’admets pas non plus, je pense, avec Euthydème[2], que toutes choses soient pareillement à tous à la fois et toujours. Car les uns ne sauraient non plus être bons, ni les autres méchants, si à tous pareillement et toujours appartenaient vertu et vice.

Hermogène. — Tu dis vrai.

Socrate. — Par conséquent, s’il n’est pas vrai que toutes choses soient pareillement à tous à la fois et toujours, ni que chacune soit propre à chacun, il est clair que les choses ont par elles-mêmes un certain être permanent, e qui n’est ni relatif à nous ni dépendant de nous. Elles ne se laissent pas entraîner çà et là au gré de notre imagination ; mais elles existent par elles-mêmes, selon leur être propre et conformément à leur nature.

Hermogène. — C’est mon avis, Socrate.


Il en est des actes comme des choses.

Socrate. — Les choses elles-mêmes auront-elles donc cette nature sans qu’il en soit ainsi des actes qui s’y rapportent[3] ? Ceux-ci, je veux dire les actes, ne sont-ils pas, eux aussi, une forme déterminée de réalité ?

Hermogène. — Parfaitement, eux aussi.

Socrate. — C’est donc en conformité 387 avec leur propre nature que se font les actes, et non pas selon notre façon de voir. Par exemple, si nous entreprenons, nous, de couper quelque objet, devons-nous couper chacun comme il nous plaît et avec ce qu’il nous plaît ? N’est-ce pas en voulant

  1. La distinction entre sages et non sages reparaît dans le Théétète, 171 c.
  2. C’est le sophiste mis en scène dans le dialogue du même nom. Pour la thèse qui lui est attribuée ici, cf. Euthyd., 294 a sq. ; 296 c.
  3. L’expression a un sens à la fois actif et passif : c’est la façon