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CRATYLE

Socrate. — Son père aussi a, semble-t-il, un nom conforme à sa nature.

Hermogène. — Apparemment.

Socrate. — Agamemnon, en effet, a chance de désigner un homme capable d’aller jusqu’au bout de ses décisions avec ténacité, en accomplissant ses projets à force de vaillance. La preuve en est dans le long séjour et la ténacité de son armée devant Troie. Que cet homme soit admirable (agastos) par sa persévérance (épimonê), c’est ce qu’indique le nom d’Agamemnon. b Peut-être Atrée, lui aussi, est-il justement nommé. Car le meurtre de Chrysippe[1] commis par lui, sa conduite si cruelle envers Thyeste[2], tous ces actes sont nuisibles et funestes (atêra) pour la vertu. Le nom qui le désigne est légèrement détourné et obscurci, de sorte qu’il ne révèle pas à tout le monde la nature du personnage ; mais pour les connaisseurs en onomastique, Atrée a un sens assez clair : aussi bien au sens d’inflexible (atéïrès) que d’intrépide (atrestos) et de funeste (atêros), de toute manière c son nom est juste. Pélops lui-même me paraît avoir reçu un nom approprié, car ce nom signifie [que] celui qui ne voit que l’immédiat (pelas, opsis) [mérite cette appellation].

Hermogène. — Comment cela ?

Socrate. — La légende, par exemple, montre cet homme, dans le meurtre de Myrtilos, incapable de rien pressentir et prévoir du sort futur de toute sa race, de l’étendue des malheurs dont il était en train de l’accabler ; il ne voyait que l’immédiat et d l’instant présent — c’est-à-dire auprès de lui (pelas) — quand il recherchait à tout prix l’union d’Hippodamie[3]. Pour Tantale, tout le monde estimera que son nom est juste et naturel, si ce qu’on dit de lui est vrai.

  1. Chrysippe, fils de Pélops, passait pour avoir été tué par Atrée et Thyeste, ses frères, jaloux de l’affection que lui portait son père.
  2. Thyeste, ayant séduit sa belle-sœur Aéropé, et s’étant emparé de l’agneau « d’or » donné par Hermès à son frère Atrée, voulut prendre le pouvoir. Atrée le chassa, puis feignit de se réconcilier avec lui, et lui fit servir les membres de ses deux fils coupés en morceaux.
  3. Pour s’assurer la victoire et épouser Hippodamie, Pélops avait corrompu le cocher d’Œnomaos, Myrtilos. Celui-ci ôta la clavette à une des roues du char de son maître et causa ainsi sa mort. Mais comme il essayait de séduire l’épouse de Pélops, il fut précipité par lui dans la mer.