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LA RÉPUBLIQUE IX

ce que nous ayons établi dans leur âme, comme dans l’État, un gouvernement, et qu’ayant cultivé ce qu’il y a de meilleur en eux par ce qu’il y a de meilleur en nous, 591nous ayons mis en eux pour nous remplacer un gardien et un chef semblable à nous, après quoi nous les laissons libres ?

C’est évident, dit-il.

En quoi donc, Glaucon, et par quelle raison dirons-nous qu’il soit avantageux de commettre une action injuste, licencieuse ou honteuse, qui, si elle nous fait plus riches ou plus puissants, nous rend plus méchants que nous n’étions ?

On ne peut le dire en aucune manière, répondit-il.

Enfin comment prétendre qu’il soit avantageux au criminel de n’être point découvert et d’échapper à la punition[1] ? Est-ce que le criminel qui échappe aux regards n’en devient pas plus méchant encore, bau lieu que, chez le criminel découvert et puni, la bête se calme et s’adoucit, que les instincts doux sont mis en liberté et que l’âme entière replacée dans l’ordre le meilleur s’élève, en acquérant la tempérance, la justice et la sagesse, à un état dont la valeur dépasse celle du corps qui acquiert la force, la beauté et la santé, de toute la hauteur dont l’âme dépasse le corps ?

C’est tout à fait juste, dit-il.

cL’homme sensé vivra donc en tendant toute son énergie vers ce but. Tout d’abord il estimera les sciences capables d’élever son âme à cet état, et il dédaignera les autres.

Évidemment dit-il.

Ensuite, repris-je, pour le bon état et la nourriture de son corps, il ne s’en remettra pas au plaisir bestial et déraisonnable et ne tournera pas de ce côté ses préoccupations ; il fera plus,

    aux bons avis. » (Trad. Mazon.) C’est la même pensée, mais elle a dans la République une bien autre portée : elle est devenue un principe fondamental de la cité idéale.

  1. C’est un des principes originaux de la morale platonicienne que la nécessité de l’expiation. Elle débarrasse l’âme de sa méchanceté et l’amende. Voir sur ce point la discussion du Gorgias 476 a-478 c, et la formule qui la résume τὸ δὲ ἀδικοῦντα μὴ διδόναι δίκην πάντων μέγιστον τε καὶ πρῶτον κακῶν πέφυκεν. Chez nous, le législateur vise moins à amender le coupable qu’à venger la morale outragée et à détourner les autres de l’imiter. Cependant certaines réformes, comme la loi de sursis, qui vise à l’amendement, semblent s’inspirer du principe platonicien.