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LA RÉPUBLIQUE X

XVI  Au moment même où l’hiérophante jetait les sorts, il avait, selon le rapport du messager des enfers, ajouté ces paroles : « Même le dernier venu, s’il choisit judicieusement et s’efforce de bien vivre, peut ramasser une condition convenable et bonne. Que le premier choisisse avec attention, et que le dernier ne perde pas courage. » Le Pamphylien racontait que, lorsque l’hiérophante eut prononcé ces paroles, celui à qui était échu le premier sort, s’avançant aussitôt, choisit la plus grande tyrannie, et, emporté par l’imprudence et par une avidité gloutonne, il la prit sans avoir examiné suffisamment toutes les conséquences de son choix. Il ne vit pas que son lot le destinait cà manger ses propres enfants et à d’autres horreurs ; mais quand il l’eut examiné à loisir, il se frappa la poitrine et se lamenta d’avoir ainsi choisi, sans se souvenir des avertissements de l’hiérophante ; car, au lieu de s’accuser lui-même de ses maux, il s’en prenait à la fortune, aux démons, à tout, plutôt qu’à lui-même. Or c’était un de ceux qui venaient du ciel, et il avait vécu précédemment dans un État bien gouverné ; mais, s’il avait eu de la vertu, c’était à l’habitude, dnon à la philosophie[1] qu’il le devait, et l’on peut affirmer que, parmi les âmes qui se laissaient ainsi surprendre, celles qui venaient du ciel n’étaient pas les moins nombreuses ; et la raison, c’est qu’elles n’avaient pas été éprouvées par les souffrances ; au contraire la plupart de celles qui venaient de la terre, ayant souffert elles-mêmes et vu souffrir les autres, ne faisaient pas leur choix avec précipitation. Il résultait de là, comme aussi des chances du tirage au sort, que la plupart des âmes échangeaient des maux pour des biens et vice-versa. Si en effet chaque fois qu’un homme vient en ce monde, il s’appliquait à une saine étude de la philosophie, et si le sort ne l’appelait pas à choisir parmi les derniers, eil aurait des chances, d’après ce qu’on rapporte des choses de l’autre monde, non seulement de vivre heureux ici-bas, mais encore de faire le voyage de ce monde en l’autre et le retour en celui-ci, non par l’âpre chemin souterrain, mais par la route unie du ciel.

  1. Cf. Phédon 81 d-82 b où Platon dit que les âmes qui ont pratiqué la tempérance et la justice par habitude, mais sans intelligence ni philosophie, émigreront dans des espèces animales sociables ou