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LA RÉPUBLIQUE VIII

C’est mon songe, fit-il, que tu me racontes ; car je ne vais guère à la campagne que cela ne m’arrive.

Or tu conçois, repris-je, quelle grave conséquence ont tous ces abus accumulés : c’est qu’ils rendent les citoyens si ombrageux qu’à la moindre apparence de contrainte, ils se fâchent et se révoltent, et ils en viennent, comme tu sais, à se moquer des lois écrites ou non écrites[1], afin de n’avoir absolument eaucun maître.

Je ne le sais que trop, dit-il.


L’excès de liberté
mène
à la servitude.

XV  Je repris : Tel est donc, mon ami, si je ne me trompe, le beau et séduisant début de la tyrannie.

Séduisant en effet, dit-il ; mais qu’arrive-t-il après ?

La même maladie, répondis-je, qui, née dans l’oligarchie, a causé sa ruine, naissant ici aussi de la liberté, s’y développe avec plus de force et de virulence et réduit à l’esclavage l’État démocratique ; car il est certain que tout excès amène généralement une violente réaction, 564soit dans les saisons, soit dans les plantes, soit dans les corps, et dans les gouvernements plus que partout ailleurs.

C’est naturel, dit-il.

L’excès de liberté ne peut donc, semble-t-il, aboutir à autre chose qu’à un excès de servitude, et dans l’individu, et dans l’État.

C’est en effet naturel.

Il est donc naturel, repris-je, que la tyrannie ne prenne naissance d’aucun autre gouvernement que du gouvernement populaire, c’est-à-dire, n’est-ce pas ? que de l’extrême liberté naît la servitude la plus complète et la plus atroce.

C’est logique en effet, dit-il.

Mais, repris-je, ce n’est pas cela, je pense, que tu me demandais, mais bien quelle est cette maladie qui, attaquant aussi bien bla démocratie que l’oligarchie, conduit la première à l’esclavage.

  1. On sait ce qui se passa après la bataille des Arginuses. Les généraux vainqueurs furent condamnés à mort par le peuple au mépris de toute légalité et de toute justice. Socrate fut le seul qui osa tenir tête au peuple. Xén. Helléniq., I, 7, 12 sqq.