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LA RÉPUBLIQUE VIII

dévouée à ses ordres, ne sait point s’abstenir du sang des hommes de sa tribu ; quand, par des accusations calomnieuses, méthode chère à ses pareils, il les traîne devant les tribunaux et souille sa conscience en leur faisant ôter la vie, qu’il goûte d’une langue et d’une bouche impies le sang de ses parents, qu’il exile et qu’il tue[1], 556et fait entrevoir le retranchement des dettes et un nouveau partage des terres[2], n’est-ce pas dès lors pour un tel homme une nécessité et comme une loi du destin ou de périr de la main de ses ennemis, ou de devenir tyran et d’être changé en loup ?

C’est une nécessité fatale, dit-il.

Le voilà donc, repris-je, qui part en guerre contre ceux qui ont de la fortune.

Oui.

Et si, après avoir été banni, il revient malgré ses ennemis, ne revient-il pas tyran achevé ?

Évidemment,

bMais s’ils ne réussissent pas à le chasser ni à le faire périr en le brouillant avec le peuple, alors ils complotent pour l’assassiner en cachette.

C’est du moins, dit-il, ce qui arrive d’habitude.


Origine de la tyran­nie ; ses mœurs.

C’est le moment pour tous les ambitieux qui en sont venus à ce point de recourir à la fameuse requête du tyran, de demander au peuple des gardes du corps, afin que le défenseur du peuple se conserve pour le servir.

Oui, dit-il.

Et le peuple lui en donne, je pense ; car toutes ses craintes sont pour son défenseur ; pour lui-même, il est plein d’assurance.

cC’est vrai.

Aussi, quand un homme qui a de la fortune et qui par là même est suspect d’être un ennemi du peuple voit que les choses en sont là, oh ! alors, mon ami, il ne manque pas de suivre l’oracle rendu à Crésus :

  1. Cf. Gorgias 466 c « Ne peuvent-ils pas, comme les tyrans, faire périr qui ils veulent, spolier et exiler ceux qu’il leur plaît ? »
  2. Le retranchement des dettes et le partage des terres sont pour le peuple le grand attrait des révolutions. Cf. Lois 684 e, [Démosth.] 24, 149, Isocr. Panath. 269, Aristote, Pol. E 5, 1385a, 5.