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LA RÉPUBLIQUE IX

démène, et, repoussant le sommeil, cherche à se donner carrière et à satisfaire ses appétits. Tu sais qu’en cet état elle ose tout, comme si elle était détachée et débarrassée de toute pudeur et de toute raison ; delle n’hésite pas à essayer en pensée de violer sa mère[1] ou tout autre, quel qu’il soit, homme, dieu, animal ; il n’est ni meurtre dont elle ne se souille, ni aliment dont elle s’abstienne[2] ; bref, il n’est pas de folie ni d’impudeur qu’elle s’interdise.

C’est l’exacte vérité, dit-il.

Mais, à mon avis, lorsqu’un homme possède par devers lui la santé et la tempérance, et ne se livre au sommeil qu’après avoir éveillé sa raison et l’avoir nourrie de belles pensées et de belles spéculations, en s’adonnant à la méditation intérieure ; lorsqu’il a calmé le désir esans le soumettre au jeune ni le gorger, afin qu’il s’endorme et ne trouble point de ses joies ou de ses tristesses le principe meilleur, 572mais qu’il le laisse examiner seul, dégagé des sens, et chercher à découvrir quelque chose qui lui échappe du passé, du présent et de l’avenir ; lorsque cet homme a de même adouci la colère et que, sans s’être irrité contre personne, il s’endort dans le calme du cœur ; lorsqu’il a apaisé ces deux parties de l’âme, et stimulé la troisième, où réside la sagesse, et qu’enfin il s’abandonne au repos, c’est dans ces conditions, tu le sais, que l’âme atteint le mieux la vérité[3], bc’est alors que les visions monstrueuses des songes apparaissent le moins.

J’en suis entièrement convaincu, dit-il.

Je me suis laissé entraîner trop loin à traiter ce sujet ; mais ce que nous voulons noter, c’est qu’il y a dans chacun

  1. Cf. Sophocle, Œdipe-Roi 981-2 : πολλοὶ γὰρ ἤδη κἂν ὀνείρασιν βροτῶν μητρὶ ξυνηυνάσθησαν.
  2. Cf. 619 c où il est dit de celui qui a choisi la tyrannie : « il ne vit pas que son lot le destinait à manger ses enfants. »
  3. On peut rapprocher de  ce passage Xénophon, Cyrop. VIII, 7, 21 : « C’est certainement dans le sommeil que l’âme révèle le mieux son caractère divin ; c’est alors qu’elle prévoit l’avenir, sans doute parce que c’est alors qu’elle est le mieux libérée du corps » ; et Cicéron, De Divinatione i, 115 « Viget enim animus in somnis, liberque est sensibus et omni impeditione curarum, iacente et mortuo corpore. » Mais Platon songe moins à la divination qu’aux suites intellectuelles de la méditation continue, à la solution naturelle et