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SECOND ALCIBIADE

en avaient de bons, mais un malheur les en priva, et placés dans une situation cnon moins infortunée que les précédents, ils préféreraient que ces enfants ne fussent jamais venus au monde[1]. Mais pourtant, malgré l’évidence aveuglante de ces exemples et de bien d’autres semblables, on trouverait difficilement quelqu’un pour refuser ces dons, ou s’il devait les obtenir par la prière, pour s’abstenir de les demander. La plupart ne refuseraient dni la tyrannie qu’on leur offrirait, ni la charge de stratège, ni tous ces autres honneurs dont la possession est plus funeste qu’utile. Bien plus, ils feraient même des supplications pour les avoir, quand ils en sont dépourvus. Mais ils attendent parfois peu de temps pour chanter la palinodie et rétracter leurs prières anciennes. Aussi, je me demande si vraiment ce n’est pas à tort que les hommes accusent les dieux quand ils leur imputent l’origine de leurs maux. C’est eux-mêmes qui par leur « propre sottise » ou stupidité, quel que soit le nom qu’il faille lui donner,

aggravent les malheurs assignés par le sort[2].

eIl m’a tout l’air, Alcibiade, d’être un homme sensé, ce poète qui affligé, sans doute, d’amis déraisonnables, leur voyant faire et souhaiter des choses qui ne convenaient nullement, bien qu’ils fussent persuadés du contraire, composa une prière identique pour tous, dont voici à peu près les termes :

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Zeus roi, les biens que nous demandons ou que nous dédaignons,
Donne-les nous : les maux, même demandés, écarte-les[3].

Sa formule est, me semble-t-il, excellente et sûre. Mais toi, si tu as quelque idée contraire, ne reste pas muet.

Alcibiade. — Il est difficile, Socrate, de contredire ce qui est bien dit. Mais ce qui me vient à l’esprit, c’est que l’igno-

    D’après Aristote, Crataios, fatigué des assiduités du tyran, résolut de le supprimer et conspira avec Hellanocratès de Larisse (Polit. E, 10, 1311 b, 8-20). Diodore prétend que le tyran fut tué accidentellement et involontairement, dans une partie de chasse, par son « favori » Cratéros (XIV, 7, 5).

  1. Thème fréquemment développé par les poètes et les rhéteurs. Cf. Euripide, Médée, 1094-1115 ; Antiphon, fg. 49 (Diels, II, 80 B).
  2. Odyssée, I, 32-35.
  3. Diodore rapporte que Pythagore prescrivait de demander aux dieux, dans ses prières, les biens d’une façon générale, et de ne