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ÉRYXIAS

l’homme d’habiter une demeure de cette richesse plutôt qu’une étroite et pauvre maisonnette, et l’utilité de la sagesse, au contraire, eest-elle si insignifiante, importe-t-il si peu d’être un sage ou un sot en ce qui concerne les problèmes les plus graves ? Est-ce une chose méprisable pour les hommes et qui ne trouve point d’acheteurs, tandis que le cyprès ornant la maison de Poulytion et les marbres pentéliques[1], tant de gens en éprouvent le besoin et veulent les acheter ? S’agit-il d’un habile pilote, d’un médecin compétent ou de tout homme capable d’exercer avec adresse un art de ce genre, il n’est pas un d’entre eux qui ne soit plus estimé que les plus précieux des biens, et quiconque est capable de délibérer avec sagesse sur la meilleure conduite à tenir concernant ses propres affaires et celles des autres, ne trouverait donc pas acheteur, 395s’il voulait vendre[2] ? » — Là-dessus, Éryxias me regarda de l’air d’un homme froissé : « Mais alors, toi, Socrate, si tu dois dire la vérité, tu te prétendrais plus riche que Callias le fils d’Hipponicos[3] ? Car, évidemment, tu ne t’avouerais inférieur à lui sur aucune des questions les plus graves, mais tu t’estimes plus sage. Et cependant, tu n’en es pas plus riche ». — « Tu crois peut-être, Éryxias, répondis-je, que nos discours présents sont un pur jeu et n’ont aucune vérité, bmais que nous faisons comme au jeu de trictrac, où, si l’on enlève une pièce, on peut à tel point dominer l’adversaire qu’il est incapable de riposter. Tu supposes, sans doute, que, dans cette question des richesses, une thèse n’est pas plus vraie que l’autre et qu’il y a certains raisonnements qui ne sont pas plus vrais que faux : en les employant, on vient à bout des contradic-

  1. Le marbre qui provenait du mont Pentélique était celui que préféraient les Athéniens. Il était très blanc et dur.
  2. Les sophistes avaient déjà proclamé l’identité entre la sagesse ou la vertu et l’habileté dans l’administration de ses propres affaires ou de celles de la cité. C’est précisément cette science délibérative qu’ils se vantaient d’enseigner (Protagoras, 318 e ; Ménon, 91 a ; Gorgias, 520 e). — Aristote affirme de même que l’art de délibérer est l’œuvre du sage, et il montre le rapport qui existe entre cet art et le bonheur (Eth. Nic. Ζ, 5, 1140 a, 25 ; 7, 1141 b, 8).
  3. Callias était renommé par ses richesses considérables. Sa vie de luxe et de prodigalité lui valut les railleries des poètes comiques (Cf. Aristophane, Ranae, 428 et suiv. ; Aves, 280 et suiv. ; Eccl.,