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ÉRYXIAS

crois-tu pas qu’un homme, par des actions mauvaises et honteuses ne puisse arriver à se procurer l’argent qui lui permettra d’acquérir la science de la médecine, grâce à laquelle il entendra, chose impossible auparavant ? Et ne pourrait-il se servir de cela précisément en vue de la vertu ou d’autre chose semblable ? » — « Mais je le crois tout à fait ». — « N’est-il pas vrai que ce qui est mauvais ne saurait être utile en vue de la vertu ? » — « Non, en effet ». — « Il n’est donc pas nécessaire que les moyens nous aidant à acquérir les choses utiles à tel ou tel but, soient eux-mêmes utiles à ce but, sans quoi, nous devrions avouer que des choses mauvaises sont parfois utiles en vue d’un but honnête.

405« Mais voici qui va éclairer encore davantage ce sujet[1]. S’il est vrai qu’il faille entendre par utile aux différents buts ce qui doit d’abord exister pour que ces buts se réalisent, voyons, que répondrais-tu à ceci : se peut-il que l’ignorance soit utile en vue de la science, ou la maladie en vue de la santé, ou le vice en vue de la vertu ? » — « Je n’oserais le dire ». — « Et pourtant, nous devrons bien avouer que la science ne peut se trouver là où n’existait d’abord l’ignorance, la santé, là où ne se trouvait la maladie, la vertu là où n’était le vice ». Il le concéda, me semble-t-il. « Il ne paraît donc pas nécessaire bque tout ce qu’exige la réalisation d’un but soit en même temps utile en vue de ce but. S’il en était ainsi, l’ignorance serait utile en vue de la science, la maladie en vue de la santé, le vice en vue de la vertu ». Il ne se laissait pas facilement dissuader, même par ces raisons, que tous ces objets fussent des richesses. Je vis donc qu’il n’y avait pas plus moyen de le convaincre que de faire cuire une pierre, comme dit le proverbe[2].

c« Eh bien ! continuai-je, laissons de côté ces discours,

    bien, puisque le moyen participe à la nature de la fin. Donc il n’est pas possible que le mal puisse être considéré comme un moyen.

  1. Ici commence l’aspect logique de la preuve : si l’on entend par moyen tout ce qui doit exister d’abord, pour qu’une fin puisse se réaliser, on aboutira aux conséquences les plus absurdes et les plus contradictoires.
  2. Le sens du proverbe est qu’on travaille inutilement pour aboutir à un résultat. Cf. Aristophane, Vespae. 280. — Il existe d’autres expressions du même proverbe : v. g. τὸ πλίνθον πλύνειν, χύτραν ποικίλλειν, εἰς ὕδωρ γράφειν…