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AXIOCHOS

dire aussi un jour à Prodicos que la mort n’intéresse ni ceux qui vivent, ni ceux qui ont disparu.

Axiochos. — Que dis-tu là, Socrate ?

Socrate. — Pour les vivants, elle n’a pas affaire à eux ; quant aux morts, ils ne sont plus. cAinsi, elle n’a rien à voir avec toi maintenant, car tu n’es pas mort, et s’il t’arrivait malheur, elle n’aurait pas davantage affaire avec toi, puisque tu ne serais plus. Douleur vaine donc, pour Axiochos, que de se lamenter sur ce qui n’existe ni n’existera pour lui, et douleur aussi sotte que de se lamenter à propos de Scylla ou du Centaure[1], qui ne comptent en rien dans les réalités qui t’entourent, et n’y compteront pas plus quand tu seras fini. Ce qui est redoutable l’est pour ceux qui existent. Comment pourrait-il l’être pour ceux qui n’existent pas ?

dAxiochos. — Ces beaux discours que tu me débites, ce sont les bavardages aujourd’hui à la mode[2] : de là proviennent, en effet, toutes ces sornettes arrangées à l’usage de la jeunesse. Pour moi, c’est la privation des biens de la vie qui m’afflige, quand même tu me bercerais de discours plus persuasifs que ceux-ci, Socrate. L’esprit n’entend pas, il n’est pas détourné par le charme de tes paroles ; ces réflexions n’effleurent même pas la surface de la peau. Elles favorisent peut-être la pompe et l’éclat du style, mais elles n’ont pas pour elles la vérité. eLes souffrances ne supportent pas les sophismes ; seul, ce qui peut atteindre l’âme les soulage.

Socrate. — Mais voilà, Axiochos, que tu introduis et lies sans réflexion à la privation des biens le sentiment des maux, sans songer que tu es mort. 370Oui, on s’afflige des biens que l’on perd, quand, en échange, on doit subir des maux, mais quand on n’existe plus, on ne perçoit même pas cette privation. Comment donc pourrait-on s’attrister de ce qui ne rendra pas conscientes les afflictions futures ? Si au début, Axiochos,

  1. C’est-à-dire à propos de chimères. — Feddersen (op. cit., p. 5, note) prétend que l’expression τοῦ Κενταύρου est inintelligible et que l’auteur a dû songer à un centaure déterminé, par exemple au plus connu, Chiron. Aussi propose-t-il de lire : ἢ Χείρωνος τοῦ Κενταύρου. La correction me paraît absolument inutile. L’auteur a pu fort bien penser à la notion même de Centaure qu’il juge absurde. Aristote, dans les Analytiques postérieures, ne pose-t-il pas la question : si le Centaure ou la divinité existent (Β, 1, 89 b, 32) ?
  2. L’auteur sait parfaitement que le voile du dialogue est transpa-