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DÉMODOCOS

mais que, réunis, vous devenez des gens éclairés ; ni que individuellement, vous vous trouvez dans l’embarras, mais que, rassemblés, vos doutes se dissipent et que vous devenez capables de comprendre ce qu’il faut faire, cela sans l’avoir appris de personne, sans l’avoir trouvé par vous-mêmes[1], ce qui est la chose la plus étonnante du monde. Vous n’irez pas dire, en effet, que ne pouvant percevoir ce qu’il faut faire, 382vous serez capables de juger quel est celui qui vous donnera un conseil juste en ces matières. Il ne vous promettra pas, non plus, cet unique conseiller, de vous apprendre comment vous devez agir et comment vous jugerez quels sont les bons ou les mauvais conseillers, cela en si peu de temps et à un si grand nombre : une telle chose ne serait pas moins étonnante que l’autre. Et si, par conséquent, ni le fait d’être réunis, ni le conseiller ne vous rendent capables de juger, quelle peut bien être l’utilité de vos suffrages ? Et comment votre réunion n’est-elle pas en contradiction avec vos suffrages, bainsi que vos suffrages avec le zèle de vos conseillers ? Car vous vous rassemblez comme si, étant incompétents, vous aviez besoin de conseillers. Or, vous votez comme si, au lieu d’avoir besoin de conseillers, vous pouviez juger et donner des avis. Quant au zèle de vos conseillers, c’est celui de gens compétents, et vous votez comme si vos conseillers étaient nuls. Et[2] si quelqu’un vous demandait à vous qui avez voté, cet au conseiller dont vous avez approuvé l’avis par votre vote : savez-vous si le but que vous avez décidé d’atteindre par votre vote se réalisera ? vous ne pourriez, je pense, le dire. Mais quoi, si ce but se réalise, vous savez que cela vous sera utile ? Même sur ce point là, ni vous, ni votre conseiller, ne seriez, je pense, capables de répondre. Et quel homme, croyez-vous, pourrait savoir quelque chose

  1. Cf. Alcibiade I, 106 d. — L’auteur du Démodocos, comme celui du Sisyphe, n’admet d’autre attitude chez ceux qui délibèrent que la connaissance ou l’ignorance. De là, toutes les antinomies qu’il croit découvrir dans le concept de συμβουλή. Il n’admet pas qu’on puisse se réunir pour chercher en commun et s’éclairer mutuellement. Des écrits comme Démodocos et Sisyphe expliquent pourquoi Aristote a dû entreprendre des analyses si longues et si laborieuses sur une notion qui nous paraît aujourd’hui très simple (Voir Éth. Nic. Γ, 4 ; Ζ, 10 ; Rhétor. Α, 3, 4).
  2. Ici commence, pour ce dernier paragraphe, un second déve-