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384 d
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DÉMODOCOS

Il n’en a eu aucun, apparemment, répondit-il.

Pourquoi donc, reprit le premier, les hommes s’adressent-ils mutuellement de tels reproches et pourquoi à ceux qu’ils n’ont pas su persuader font-ils grief de ne s’être pas laissés convaincre, alors qu’eux-mêmes, qui ont échoué à les convaincre, ne se reprochent nullement cet échec[1] ?

385Là-dessus, un des assistants intervint : Et lorsqu’on a bien agi envers quelqu’un et qu’on lui a rendu service, puis y qu’ensuite, le priant de vous rendre la pareille, on n’obtient rien, comment ne lui en ferait-on pas un légitime grief ?

Mais, répondit l’interpellé, celui à qui l’on demande cet échange de bons procédés, ou bien est capable de le faire, ou bien ne l’est pas. S’il ne l’est pas, comment la demande elle-même serait-elle juste, puisqu’on lui demande ce dont il n’est pas capable ? Et s’il en est capable, comment n’a-t-on pas persuadé un pareil homme ? Ou comment, en affirmant de telles choses, peut-on avoir raison ?

bMais, par Zeus, repartit le premier, il faut lui en faire un reproche, afin qu’à l’avenir, il agisse mieux envers vous, lui, et tous les amis, qui auront entendu le reproche.

Agir mieux, y viendront-ils, d’après toi, en écoutant celui qui parle et demande correctement, ou celui qui se trompe ?

Celui qui parle correctement, répondit-il.

Mais précisément, cet homme ne te paraissait pas demander correctement ?

C’est vrai, dit-il.

Pourront-ils donc, en entendant de tels reproches, agir mieux ?

Nullement, répondit-il.

cMais alors pourquoi les faire ?

Il avoua ne pouvoir trouver pourquoi.

  1. Les sophistes et les rhéteurs faisaient le plus grand cas de l’art de persuader. Si on n’obtient pas ce qu’on désire, c’est que l’on ne sait pas demander, c’est-à-dire on ne demande pas suivant toutes les règles de l’art (voir 385 b ὀρθῶς λέγοντος). La rhétorique est la grande ouvrière de persuasion, disait Gorgias (Gorgias, 453 a) et, dans son Éloge d’Hélène, le sophiste déclare, avec exemple à l’appui, qu’on peut s’emparer des esprits et les façonner comme on veut (Diels, Vorsokr. II, 76 B, 11, 13). Démocrite affirmait, de son côté, que le discours est souvent plus puissant que l’or pour produire la persuasion (Diels II, 55 B, 51).