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SISYPHE

terais avec toi tout d’abord sur la délibération elle-même, sur ce qu’elle est. Pourrais-tu me dire ce qu’il faut entendre par délibérer ? Ne me dis pas ce qu’est bien ou mal délibérer, ou ce que tu nommes en quelque manière la belle délibération, mais définis simplement l’acte même de délibérer. Cela ne t’est-il pas très facile, à toi, du moins, qui es un si habile conseiller ? Mais je crains d’être bien indiscret en t’interrogeant ainsi sur ce sujet ?

Sisyphe. — Quoi ! tu ignores vraiment ce que c’est que délibérer ?


Première partie.

Socrate. — Mais oui, Sisyphe, à moins que ce ne soit pas autre chose que rendre des oracles, sans aucune science, esur ce qu’on doit faire, et improviser au petit bonheur, se faisant à soi-même des conjectures, absolument comme les gens qui jouent à pair et impair : ces derniers ignorent, en effet, s’ils ont pair ou impair dans la main, et pourtant il se trouve que leur réponse est juste[1]. 388Délibérer est souvent quelque chose de semblable : on ne sait rien sur l’objet même de la délibération et, au petit bonheur, il arrive qu’on dit la vérité. Si c’est cela, je vois ce qu’est la délibération ; si ce n’est rien de tel, j’avoue que je ne comprends pas bien.

Sisyphe. — Non, ce n’est pas la même chose que l’ignorance complète d’un sujet, mais c’est connaître une partie de la question, sans toutefois savoir encore le reste.

bSocrate. — Par Zeus, est-ce que délibérer — car je crois en quelque sorte deviner aussi ta pensée sur la bonne délibération — est pour toi quelque chose comme chercher à

    Sisyphe. — On pourrait suggérer une autre hypothèse. Si Stratonicos est vraiment le musicien dont parlent souvent les auteurs anciens (Cf. la notice, p. 60), il a pu développer un thème sur son art et l’illustrer par des exemples pratiques.

  1. Le jeu de « pair ou impair » était très populaire chez les Grecs. Le joueur cachait dans sa main un certain nombre d’objets (fèves, noix, amandes ou osselets), et le partenaire devait dire s’ils se trouvent en nombre pair ou impair. Cf. la mise en scène du Lysis (206 e) qui fait assister à ce jeu joué par les enfants dans la palestre. Parfois les noix ou les osselets étaient remplacés par des pièces d’or ou d’argent, que gagnait celui qui avait su deviner (Aristophane, Plut. 816 et scholie ad hunc locum). À ce jeu populaire l’auteur du dialogue compare la délibération qui ne serait pas autre chose, elle