Page:Platon - Sophiste ; Politique ; Philèbe ; Timée ; Critias (trad. Chambry), 1992.djvu/431

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toutes celles que nous percevons par le corps sont-elles les seules qui aient une telle réalité et n’y en a-t-il absolument pas d’autre nulle part ? Parlons-nous en l’air, quand nous affirmons qu’il y a toujours de chaque objet une forme intelligible et n’est-ce donc là que du verbiage ? Il est certain que nous ne pouvons pas affirmer qu’il en est ainsi, sans avoir discuté la question et prononcé notre jugement, ni insérer dans notre discours déjà long une longue digression. Mais si nous trouvions une distinction importante, exprimable en peu de mots, rien ne serait plus à propos. Pour ma part, voici le jugement que j’en porte. Si l’intelligence et l’opinion vraie sont deux genres distincts, ces idées existent parfaitement en elles-mêmes : ce sont des formes que nous ne pouvons percevoir par les sens, mais seulement par l’esprit. Si, au contraire, comme il semble à quelques-uns, l’opinion vraie ne diffère en rien de l’intelligence, il faut admettre que tout ce que nous percevons par le corps est ce qu’il y a de plus certain. Mais il faut reconnaître que ce sont deux choses distinctes, parce qu’elles ont une origine séparée et n’ont aucune ressemblance. Car l’une est produite en nous par l’instruction, l’autre par la persuasion ; la première va toujours avec le discours vrai, l’autre ne raisonne pas ; l’une est inébranlable à la persuasion, l’autre s’y laisse fléchir. Ajoutons que tous les hommes ont part à l’opinion, mais que l’intelligence est le privilège des dieux et d’un petit nombre d’hommes.

S’il en est ainsi, il faut reconnaître qu’il y a d’abord la forme immuable qui n’est pas née et qui ne périra pas, qui ne reçoit en elle rien d’étranger, et qui n’entre pas elle-même dans quelque autre chose, qui est invisible et insaisissable à tous les sens, et qu’il appartient à la pensée seule de contempler. Il y a une seconde espèce, qui a le même nom que la première et qui lui ressemble, mais qui tombe sous les sens, qui est engendrée, toujours en mouvement, qui naît dans un lieu déterminé pour le quitter ensuite et périr, et qui est saisissable par l’opinion jointe à la sensation. Enfin il y a toujours une troisième espèce, celle du lieu, qui n’admet pas de destruction et qui fournit une place à tous les objets qui naissent. Elle n’est elle-même perceptible que par un raisonnement bâtard où n’entre pas la sensation ; c’est à peine si l’on y peut croire. Nous l’entrevoyons comme dans un songe, en nous disant qu’il faut nécessairement que tout ce qui est soit quelque part dans un lieu déterminé, occupe une certaine place, et que ce qui n’est ni sur la terre ni en quelque lieu sous le ciel n’est rien. A cause de cet état de rêve, nous sommes incapables à l’état de veille de faire toutes ces distinctions et d’autres du même genre, même à l’égard de la nature éveillée et vraiment existante, et ainsi d’exprimer ce qui est vrai, à savoir que l’image, parce