Page:Pline le Jeune - Panégyrique de Trajan, trad. Burnouf, FR+LA, 1845.djvu/83

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dent mauvais. Vous vous rappelez encore ce que vous désiriez, ce que vous déploriez avec nous. Chez vous, le jugement de l’homme privé dirige les actions du prince ; que dis-je ? vous vous montrez meilleur pour les autres que vous ne souhaitiez qu’un autre fût pour vous. Quel changement s’est fait ainsi dans nos esprits ! le comble de nos vœux était d’avoir un prince qui valût mieux que le plus méchant des hommes ; aujourd’hui nous souffririons avec peine celui qui n’en serait pas le meilleur. Aussi personne n’est-il assez mauvais juge et de vous et de soi, pour convoiter après vous le rang où vous êtes : il est plus facile qu’on puisse vous succéder, qu’il n’est plus facile qu’on le veuille. Eh ! qui se chargerait volontairement du fardeau que vous portez ? qui ne redouterait pas un dangereux parallèle ? Vous avez éprouvé vous-même combien c’est une pénible tâche de remplacer un bon prince ; et vous aviez l’adoption pour excuse. Est-ce l’objet d’une facile et commune émulation, qu’un gouvernement où nul n’achète la sûreté aux dépens de l’honneur ? La vie est assurée à tous, et en même temps la dignité de la vie. Ce n’est plus être sage et avisé que de couler obscurément ses jours : la vertu jouit, sous le pouvoir d’un seul, des mêmes récompenses que sous le règne de la liberté. Le témoignage de la conscience n’est plus l’unique salaire des bonnes actions. Vous aimez le courage dans les citoyens, et, loin de réprimer et d’abattre les caractères fermes et vigoureux, vous vous plaisez à les soutenir, à les élever. On se trouve bien de la probité, quand c’est beaucoup déjà qu’on ne s’en trouve plus mal : c’est à elle que vous offrez les dignités, les sacerdoces, les provinces ; elle fleurit sous l’abri de votre amitié, de votre estime. Ce prix, assuré aux hommes d’honneur et de talent, aiguillonne ceux qui leur ressemblent, attire ceux qui ne leur ressemblent pas : car ce qui fait les bons et les méchants, c’est le profit qu’on trouve être l’un ou l’autre. Peu d’esprits sont assez forts pour fuir ou pour rechercher l’honnête et le honteux, indépendamment de leurs résultats. Le reste des hommes, voyant donner les récompenses du travail à la paresse, de la vigilance au sommeil, de la frugalité à la débauche, emploient, pour les obtenir à leur tour, les moyens que le succès recommande. Ils veulent être et paraître tels que ceux dont ils envient le sort, et, en le voulant, ils y réussissent.