Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
LIVRE DEUXIÈME.

se fait-il que les animaux se dévorent les uns les autres, que les hommes s’attaquent mutuellement, qu’ils soient toujours en guerre entre eux sans trêve ni repos[1] ? Comment se fait-il que la Raison [de l’univers] ait constitué un pareil état de choses, et qu’on prétende cependant que tout est pour le mieux ?

Il ne suffit pas ici de répondre : « Tout est pour le mieux possible ; la matière est cause que les choses se trouvent dans cet état d’infériorité ; les maux ne sauraient être détruits[2]. » En effet, il fallait que les choses fussent ce qu’elles sont ; elles sont bonnes. Ce n’est pas la matière qui est venue dominer l’univers : elle y a été introduite pour que l’univers fût ce qu’il est, ou plutôt elle a pour cause la Raison[3]. Le principe des choses est donc la Raison [de l’univers] : elle est tout. C’est par elle que les choses sont engendrées ; c’est par elle qu’elles sont coordonnées dans la génération.

À quoi tient donc [dira-t-on] la nécessité de cette guerre naturelle que les hommes se font les uns aux autres ainsi que les animaux ? — D’abord, il est nécessaire que les animaux se dévorent les uns les autres, parce qu’il faut qu’ils se renouvellent ; ils ne sauraient en effet durer éternellement, lors même qu’ils ne seraient pas tués[4]. Y a-t-il sujet de se

  1. Voy. Hiéroclès, De la Providence, p. 82 de l’éd. de Londres.
  2. C’est la doctrine de Platon. Voy. les passages du Théétète et du Timée que nous avons cités dans les Éclaircissements du tome I, p. 427-430.
  3. Le texte porte : καὶ αὐτὴ αἰτία λόγου οὕτως. Il faut retrancher αἰτία, comme le propose M. Creuzer, ou lire αἰτίᾳ, comme le fait M. Kirchhoff. Le sens est le même dans les deux cas.
  4. « Omnia temporalia, quæ in hoc rerum ordine ita locata sunt ut, nisi deficiant, non possint præteritis futura succedere, ut tota temporum in suo genere pulchritudo peragatur, absurdissime dicimus non debere deficere. Quantum enim acceperunt, tantum agunt, et tantum reddunt ei cui debent quod sunt in quantumcunque sunt. » (S. Augustin, De Libero arbitrio, III, 15, 23.)