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LIVRE DEUXIÈME.

à leur tour dépouillés par d’autres, et que, s’ils ne sont pas dépouillés de ces richesses, ils perdront encore plus à les garder[1]. Quant aux meurtres, aux massacres, à la prise et au pillage des villes, nous devons les considérer du même œil qu’au théâtre nous regardons les changements de scène et de personnages, les pleurs et les cris des acteurs[2].

Ici-bas, en effet, comme au théâtre, ce n’est pas l’âme, l’homme intérieur, c’est son ombre, l’homme extérieur, qui s’abandonne aux lamentations et aux gémissements, qui se donne tant de mouvement sur la terre, et qui en fait la scène immense d’un drame à mille actes divers[3]. Tel est le caractère des actions de l’homme qui ne considère que les choses placées à ses pieds et hors de lui, et qui ignore que ses larmes et ses occupations sérieuses ne sont que des jeux[4]. L’homme vraiment sérieux ne s’occupe sérieusement que d’affaires vraiment sérieuses, tandis que l’homme frivole ne s’applique qu’à des choses frivoles. En effet, les choses frivoles deviennent sérieuses pour celui qui ne connaît pas les occupations vraiment sérieuses, et qui est lui-même frivole. Si l’on vient à se mêler à ces enfantillages, que l’on

  1. Voy. Épictète, Manuel, § 2, 6 ; et Salluste, De Diis et Mundo, ix, p. 263.
  2. La comparaison de la vie avec une tragédie se trouve dans le Philèbe de Platon (t. II, p. 416 de la trad. de M. Cousin) : « Dans la tragédie et la comédie de la vie humaine, le plaisir est mêlé à la douleur. Le stoïcien Ariston de Chios a dit aussi : « Le sage ressemble à un bon acteur qui, sous le masque de Thersite comme sous celui d’Agamemnon, remplit toujours convenablement son rôle. » (Diogène Laërce, VII, § 160.).
  3. Avec MM. Creuzer et Kirchhoff nous retranchons les mots έν ᾗ σϰιαὶ ἀίσσουσι πολλῶν qui paraissent être interpolés.
  4. Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui troublent les hommes ; ce sont les opinions qu’ils ont des choses. Ainsi la mort n’est point terrible : car elle aurait paru telle à Socrate ; mais elle nous paraît terrible parce que telle est l’opinion que nous nous en faisons. Quand donc nous serons empêchés, ou troublés, ou affligés, accusons, non les autres, mais nous-mêmes, c’est-à-dire nos opinions. (Épictète, Manuel, § 8.)