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LIVRE DEUXIÈME.

lui assigne la nature des sons qu’elle doit rendre. Dans l’univers, tout est bien, tout est beau, si chaque être occupe la place qu’il mérite, s’il sait entendre, par exemple, des sons discordants, dans les ténèbres et le Tartare : car il est convenable qu’on y entende de tels sons. Pour que l’univers soit beau, il faut que l’individu n’y soit pas comme une pierre[1] ; il faut qu’il concoure à l’unité de l’harmonie universelle en rendant le son qui lui est propre[2] ; or, le son que rend l’individu, c’est la vie qu’il mène, vie qui est inférieure en grandeur, en bonté, et en puissance [à celle de l’univers]. Le chalumeau rend plusieurs sons, et le plus faible contribue cependant à l’harmonie totale, parce que cette harmonie est composée de sons inégaux dont l’ensemble constitue un accord parfait[3] ; de même, la Raison universelle est une, mais renferme des parties inégales. De la résulte qu’il y a dans l’univers des places différentes, les unes meilleures, les autres inférieures, et leur inégalité correspond à l’inégalité des âmes. En effet, les places étant diverses et les âmes différentes, les âmes qui sont différentes trouvent des places qui sont inégales (comme les diverses parties du chalumeau ou de tout autre instrument) ; elles habitent des lieux différents et font entendre chacune des sons convenables pour l’endroit où elles se trouvent et pour l’univers. Ainsi, ce qui est mauvais pour l’individu est bon pour l’ensemble[4] ; ce qui est contre nature dans l’individu est selon

  1. Expression proverbiale.
  2. « Sache que le point fondamental de la piété envers les Dieux, c’est d’avoir d’eux des idées droites comme celles-ci : qu’ils existent et qu’ils gouvernent tout avec bonté et avec justice ; qu’ils t’ont toi-même placé à un poste pour leur obéir et marcher de ton plein gré soumis aux événements que tu considéreras comme ordonnés par la suprême sagesse. De la sorte, tu ne te plaindras jamais des Dieux et tu ne les accuseras jamais de t’oublier. » (Épictète, Manuel, § 37.)
  3. « Il ne faut pas que les tuyaux d’un jeu d’orgue soient égaux, etc. » (Leibnitz, Théodicée, III, § 246.)
  4. « Souvent un mal dans quelques parties peut servir au plus grand bien du tout, etc. » (Ibid., II, § 289.)