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LIVRE SIXIÈME.


raideur. C’est pourquoi le mouvement, qui est une espèce de vie, ou du moins une image de la vie, se trouve à un degré plus élevé dans les choses qui sont moins corporelles[1].

Il semble donc que ce soit l’éclipse de l’être (ἀπολείψις τοῦ ὄντος) qui rende un objet plus corporel[2]. Si l’on examine les faits qu’on nomme passions, on voit que plus un objet est corporel, plus il est sujet à pâtir : la terre l’est plus que les autres éléments, et ainsi de suite. En effet, quand les autres éléments sont divisés, ils réunissent aussitôt leurs parties, si rien ne s’y oppose ; mais, quand on sépare des parties de terre, elles ne se rapprochent pas les unes des autres ; elles semblent ainsi n’avoir aucune force naturelle, puisque, après un léger coup, elles restent dans l’état où elles ont été mises quand elles ont été frappées et brisées. Donc, plus une chose est corporelle, plus elle se rapproche du non-être, puisqu’elle ne peut revenir à l’unité. Les

  1. Voy. le P. Thomassin, Dogmata theologica, t. I, p. 269.
  2. Ibn-Gebirol (Avicebron) a longuement développé cette idée que la matière est l’éclipse de l’être : « Comme la forme est une lumière parfaite, et que cependant sa divisibilité et sa multiplicité causent l’affaiblissement successif de la lumière qui se répand dans la matière, la rendent trouble et épaisse, et, en général, font que son milieu diffère de son commencement et que sa fin diffère de son milieu, sans qu’il y ait là autre chose que la matière et la lumière qui s’y répand, c’est-à-dire la forme, il est clair par là que l’affaiblissement, l’épaississement, la ternissure, et, en général, l’obscurcissement affectant la lumière qui se répand dans la matière, viennent de la matière, et non pas de la forme elle-même… À mesure que la matière descend, elle s’épaissit à raison de sa distance de la lumière qui s’y répand… On peut comparer à cela la lumière du soleil qui se mêle à l’obscurité, ou l’étoffe mince et blanche quand un corps noir s’en revêt : car alors la blancheur ne se voit pas, à cause du noir qui prédomine. On peut y comparer encore la lumière qui pénètre, par exemple, à travers trois vitres : car la seconde vitre a moins de lumière que la première, et la troisième en a moins que la seconde. » (La Source de la Vie, liv. IV, p. 80, trad. de M. Munk.)