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LIVRE SIXIÈME.


l’impassibilité de la matière : car on pourrait être conduit par l’emploi des termes usuels à supposer, mais à tort, que la matière pâtit. C’est ainsi, dit Platon, que l’on conçoit la matière comme enflammée, mouillée, etc., comme recevant les formes de l’air et de l’eau[1]. En ajoutant que « la matière reçoit les formes de l’air et de l’eau », Platon modifie cette affirmation que « la matière est enflammée et mouillée, » et il montre qu’en recevant les formes elle n’a cependant pas de forme elle-même, que les formes ne font qu’entrer en elle. Cette expression : la matière est enflammée, ne doit pas être prise dans le sens propre ; elle signifie seulement que la matière devient feu. Or, devenir feu n’est pas la même chose qu’être enflammé : être enflammé ne peut arriver qu’à ce qui est différent du feu, à

  1. « Le feu paraît toujours être une partie enflammée de la matière, l’eau une partie mouillée, et de même pour la terre et l’air lorsque ce réceptacle en reçoit les images. » (Platon, Timée, p. 51 ; trad. de M. H. Martin, p. 139.) M. Steinhart cite ce passage de Plotin comme un exemple de la sagacité avec laquelle notre auteur interprète souvent Platon : « In ipsa materiæ notione definienda Platonem sœpe subtilissime explicat, etc. » (Meletemata plotiniana, p. 21.) Nous ferons remarquer en outre que S. Augustin applique à un passage bien connu de la Genèse la même méthode d’interprétation que Plotin applique ici au Timée de Platon : « Informis ergo illa materia, quam de nihilo Deus fecit, appellata est primo cœlum et terra, et dictum est : « In principio fecit Deus cœlum et terram, non quia jam hoc erat, sed quia hoc esse poterat : nam et cœlum scribitur postea factum… Hanc autem adhuc informent materiam etiam terram invisibilem atque incompositam voluit appellare, quia inter omnia elementa mundi terra videtur minus speciosa quam cetera : invisibilem autem dixit, propter obscuritatem, et incomposttam propter informitatem. Eamdem ipsam materiam etiam aquam appellavit, super quam ferebatur Spiritus Dei, sicut superfertur rebus fabricandis voluntas artiflcis,… sed sub his omnibus nominibus materia erat invisa et informis, de qua Deus condidit mundum. » (De Genesi contra Manichœos, I, 7.)