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TROISIÈME ENNÉADE.


citer[1]. Dès que Penia [la Pauvreté] existe, elle demande sans cesse, comme le raconte un mythe[2] ; cela montre assez qu’elle est naturellement dénuée de tout bien. Elle ne demande pas à obtenir tout ce que possède celui qui lui donne ; il lui suffit d’en avoir quelque chose, en sorte que nous voyons par là combien les simulacres qui apparaissent dans la matière sont différents des êtres véritables. Le nom même de Penia, qu’on donne à la matière, indique qu’elle est insatiable. Si l’on dit qu’elle s’unit à Poros [l’Abondance], cela ne signifie pas qu’elle s’unit avec l’Être ou avec la Plénitude, mais avec une œuvre d’un artifice admirable, c’est-à-dire avec une chose qui n’est qu’une spécieuse apparence[3].

Il est impossible en effet que ce qui est en dehors de l’être en soit complètement privé : car la nature de l’être est de produire les êtres. D’un autre côté, le non-être absolu ne peut se mêler à l’être. Il en résulte une chose étonnante : c’est que la matière participe à l’être sans y participer réellement, et qu’elle en obtient quelque chose en s’en approchant, quoique par sa nature elle ne puisse s’unir avec lui. Elle reflète donc ce qu’elle reçoit d’une nature étrangère à la sienne, comme l’écho renvoie le son, dans les lieux unis et polis ; c’est ainsi que les choses qui ne demeurent pas dans la matière paraissent y résider et en venir.

Si la matière participait à l’existence des êtres véritables et les recevait dans son sein comme on pourrait le penser, ce qui entre en elle la pénétrerait profondément ; mais on voit fort bien qu’elle n’en est pas pénétrée, qu’elle est restée sans en rien recevoir, qu’elle en a au contraire arrêté la procession (πρόοδος), comme l’écho arrête et renvoie le son, qu’elle est seulement le réceptacle des choses qui entrent en elle et qui s’y mêlent. Tout se passe ici comme

  1. Voy. Enn. II, liv. VIII, § 14 ; t. I, p. 137.
  2. Voy. le livre précédent, § 9, p. 122.
  3. C’est une allusion au mythe de Pandore, tel que l’entend Plotin. Voy. Enn. IV, liv. III, § 14.