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LIVRE SIXIÈME.


grandeur[1] ; elle a tiré d’elle-même la grandeur pour la donner à la matière, qui ne la possédait pas et qui n’est pas pour cela devenue grande ; sinon, la grandeur qui se trouverait en elle serait la grandeur même. Si on ôte à la matière la forme, le sujet qui reste alors n’est plus et ne paraît plus grand [puisque la grandeur fait partie de la forme]. Si ce qui est produit dans la matière est une certaine grandeur, un homme, par exemple, ou un cheval, la grandeur propre au cheval disparaît avec la forme même du cheval[2]. Si l’on dit qu’un cheval ne peut se produire que dans une masse d’une grandeur déterminée, et que cette grandeur demeure [quand la forme du cheval disparaît], nous répondrons que ce n’est pas la grandeur propre au cheval qui demeure alors, mais la grandeur de la masse. Et encore, si cette masse est du feu ou de la terre, quand la forme du feu ou celle de la terre disparaît, la grandeur du feu ou celle de la terre disparaît en même temps. La matière ne possède donc ni la figure ni la quantité ; autrement, de feu elle ne deviendrait pas autre chose, mais, demeurant feu, elle ne deviendrait jamais feu[3]. Maintenant qu’elle paraît être devenue aussi grande que cet univers, si le ciel était anéanti avec tout ce qu’il contient, toute quantité disparaîtrait de la matière en même temps[4], et avec la quantité s’évanouiraient

  1. On trouve la même théorie dans Ibn-Gebirol : « La totalité de la forme se répand dans la totalité de la substance de la matière et pénètre dans toutes ses parties. Elle ressemble à la lumière qui se plonge dans la totalité de la substance du corps dans lequel elle pénètre et à la quantité qui s’étend dans la substance qu’elle pénètre. » (La Source de la Vie, liv. IV, p. 79, trad. de M. Munk.)
  2. Voy. Enn. II, liv. IV, § 9-12 ; t. I, p. 207-215.
  3. Voy. ci-dessus, § 12, p. 153.
  4. En d’autres termes, l’espace est né en même temps que les choses qu’il contient. On trouve la même pensée dans S. Augustin : « Quomodo fecisti, Deus, cœlum et terram ? Non utique in cœlo neque in terra fecisti cœlum et terram, neque in ære aut in aquis, quoniam et hæc pertinent ad cœlum et terram ; neque in universo mundo fecisti universum mundum,