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LIVRE TROISIÈME.


pable de saisir les notions, elle devra aussi percevoir les conceptions de la raison discursive, ou bien ce sera une autre faculté qui percevra les unes et les autres.

Admettrons-nous donc que la puissance de percevoir (τὸ ἀντιληπτιϰόν) est commune à l’âme raisonnable et à l’âme irraisonnable, et lui accorderons-nous le souvenir des choses sensibles et des choses intelligibles ? — Reconnaître que c’est une seule et même puissance qui perçoit également ces deux espèces de choses, c’est faire faire déjà un pas à la question. Si l’on divise en deux cette puissance, il y aura encore néanmoins deux espèces de mémoire ; enfin, si nous accordons les deux espèces de mémoire à chacune des deux âmes [à l’âme raisonnable et à l’âme irraisonnable], il y aura ainsi quatre espèces de mémoire.

Est-il absolument nécessaire que nous nous souvenions des sensations par la sensibilité, que ce soit la même puissance qui éprouve la sensation et qui se souvienne de la sensation, que ce soit également la raison discursive qui conçoive et se souvienne des conceptions ? Mais les hommes qui raisonnent le mieux ne sont pas ceux qui se souviennent aussi le mieux, et ceux qui ont des sens également délicats n’ont pas tous pour cela une mémoire aussi bonne les uns que les autres ; au contraire, les uns ont des sens délicats, tandis que les autres ont une bonne mémoire, sans être cependant capables de percevoir également bien. D’un autre côté, si sentir et se rappeler sont choses indépendantes l’une de l’autre, il y aura [outre la sensibilité] une autre puissance qui se rappellera les choses précédemment perçues par la sensation, et cette puissance devra sentir ce qu’elle se rappellera[1].

  1. « La mémoire ne se confond ni avec la sensation ni avec la conception intellectuelle ; mais elle est ou la possession ou la modification de l’une des deux, avec la condition d’un temps écoulé. » (Aristote, De la Mémoire, 1 ; tr. fr., p. 113.)