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QUATRIÈME ENNÉADE.

templée par un autre principe [l’Intelligence], parce qu’alors elle n’est pas toutes choses à la fois dans une seule pensée. En effet, les actes [de l’Intelligence] ne sont pas une unité ; mais ils sont produits tous[1] par une puissance toujours permanente ; ils deviennent donc multiples dans les autres principes [les intelligibles] : car l’Intelligence, n’étant pas l’unité même, peut recevoir en son sein la nature du multiple qui n’existait pas auparavant [dans l’Un].

II. Admettons qu’il en soit ainsi. L’âme se souvient-elle d’elle-même ? — Ce n’est pas probable : celui qui contemple le monde intelligible ne se rappelle pas qui il est, qu’il est Socrate par exemple, qu’il est une âme ou une intelligence. Comment en effet s’en souviendrait-il ? Tout entier à la contemplation du monde intelligible, il ne fait pas un retour sur lui-même par la pensée ; il se possède lui-même, mais il s’applique à l’intelligible et devient l’intelligible, à l’égard duquel il joue le rôle de matière ; il prend la forme de l’objet qu’il contemple, et il n’est alors lui même qu’en puissance. Il n’est donc lui-même en acte que quand il ne pense pas l’intelligible. Quand il n’est que lui-même, il est vide de toutes choses, parce qu’il ne pense pas l’intelligible ; mais s’il est tel par sa nature qu’il soit toutes choses, en se pensant lui-même, il pense toutes choses. Dans cet état, se voyant lui-même en acte par le regard qu’il jette sur lui-même, il embrasse toutes choses dans cette intuition ; d’un autre côté, par le regard qu’il jette sur toutes choses, il s’embrasse lui-même dans l’intuition de toutes choses[2].

S’il en est ainsi [dira-t-on], il change de pensées, et nous avons plus haut refusé de l’admettre. — L’intelligence est immuable, mais l’âme, placée aux dernières limites du monde intelligible, peut subir quelque mutation

  1. Nous lisons πᾶσαι avec M. Kirchhoff, qui soupçonne qu’il y a une lacune dans cette phrase.
  2. Voy. ci-dessus, p. 290, note 2.