Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/411

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
LIVRE QUATRIÈME.


lui donnant sa forme ; il en résulte que l’origine de l’appétit n’est pas dans la nature, mais dans les passions du corps vivant : s’il souffre, il aspire à posséder les choses contraires à celles qui le font souffrir, à faire succéder le plaisir à la douleur, la satiété au besoin. La nature, comme une mère, devine les désirs du corps qui a pâti, tâche de le diriger et de le ramener à elle ; or, en cherchant à le satisfaire, elle partage par là même ses appétits, elle se propose d’atteindre les mêmes fins. On peut donc dire que le corps a par lui-même des appétits, des penchants ; que la nature n’en a qu’à la suite du corps et à cause de lui ; que l’âme enfin est une puissance indépendante qui accorde ou refuse à l’organisme ce qu’il désire.

XXI. L’observation des divers âges montre que c’est bien l’organisme qui est l’origine des appétits. En effet, ceux-ci varient selon que l’homme est enfant ou adolescent, malade ou bien portant. Cependant, la concupiscence (τὸ ἐπιθυμητιϰὸν) reste toujours la même. Donc ce sont les variations de l’organisme qui produisent les variations des appétits. Mais la concupiscence n’est pas toujours éveillée tout entière par l’excitation du corps, quoique celle-ci subsiste jusqu’à la fin. Souvent, avant même d’avoir délibéré, l’âme ne veut pas permettre au corps de boire ni de manger, quoique l’organisme le désire aussi vivement que possible. Souvent aussi la nature elle-même ne consent point à satisfaire l’appétit du corps, parce que cet appétit ne lui semble pas naturel et que seule elle peut décider quelles choses sont conformes ou contraires à la nature. Si l’on répond que le corps par ses divers états suggère à la concupiscence des appétits divers, on n’explique pas comment les différents états du corps peuvent inspirer à la concupiscence des appétits différents, puisqu’alors ce n’est pas elle-même qu’elle travaille à satisfaire. Car ce n’est pas pour elle-même, c’est pour l’organisme que la concupiscence recherche les aliments, l’humidité ou la chaleur, le