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SOMMAIRES.

(II) L’Âme universelle demeure impassible en s’unissant au monde parce que le corps du monde est parfait : elle le gouverne avec une autorité royale, par des lois générales, sans éprouver de peine ni de fatigue, sans être détournée de la contemplation des essences intelligibles. Il n’en est pas de même de l’âme particulière que son commerce avec le corps détourne des conceptions de l’intelligence et expose à la douleur.

(III) La descente des âmes particulières sur la terre est une des lois de l’univers. En effet, de même que l’Intelligence universelle enveloppe la pluralité des intelligences particulières ; de même, l’unité de l’Âme universelle contient la pluralité des âmes particulières, dont la destinée est de vivifier et de gouverner les corps, afin que le monde intelligible manifeste et développe toutes les puissances qu’il possède.

(IV-V) Tant que l’âme particulière se borne à exercer sa puissance intellectuelle, elle reste unie à l’Âme universelle. Quand elle développe ses puissances sensitive et végétative, elle entre dans un corps et elle en partage les infirmités ; elle peut cependant remonter au monde intelligible. Par là, on peut concilier les opinions diverses énoncées précédemment (§ I) : la descente de l’âme dans le corps n’est ni spontanée ni involontaire ; elle résulte d’une loi providentielle qui n’abolit pas la liberté ; elle n’est pas un mal en soi, puisqu’elle donne aux âmes l’occasion de développer leurs facultés, de les faire passer de la puissance à l’acte[1] ; elle n’est un mal que pour celles qui s’attachent au corps et oublient leur céleste origine. Dans ce cas, ces âmes sont soumises à un jugement et à un châtiment qui a pour but de les purifier[2].

(VI-VIII) C’est une loi universelle que toute puissance produise en raison

  1. Olympiodore tire de cette doctrine les arguments par lesquels il prouve qu’il n’est pas permis de se donner la mort : « 1o Dieu ne se borne pas à la conscience de lui-même : il est la Providence de ce monde. Ainsi, le philosophe qui prend Dieu pour modèle (car la philosophie est la plus haute ressemblance avec Dieu), ne doit pas se borner à la réflexion ; rien ne l’empêche d’agir, d’exercer une sorte d’action providentielle sur les choses inférieures, sans perdre sa pureté. Après la séparation de l’âme et du corps opérée par la mort, il n’est pas difficile de vivre dans la pureté ; mais c’est une belle chose de se conserver incorruptible pendant que l’on est assujetti au corps. 2o De même que Dieu est présent en toutes choses, de même l’âme doit être présente dans tout le corps et ne point s’en séparer. 3o Un lien volontaire doit être délié volontairement ; un lien involontaire doit l’être involontairement. La vie physique est involontaire ; c’est un lien qui doit être dénoué sans l’intervention de la volonté, c’est-à-dire par la mort naturelle, tandis que la vie des sens, que nous avons embrassée librement, doit avoir une fin volontaire, la purification de nous-mêmes. » (Comm. sur le Phédon, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 397.) Sur ce dernier argument, Voy. Enn. I, liv. IX, t. I, p. 140.
  2. Cette opinion de Plotin est citée en ces termes par Olympiodore : « Les âmes qui n’ont commis que des fautes légères ne sont condamnées que pour peu de temps, et une fois purifiées elles s’élèvent, non par rapport aux lieux, ce qui est symbolique, mais moralement, par rapport à leur manière d’être. Aussi Plotin dit-il que l’âme est ramenée au monde intelligible, non en changeant de lieu, mais en changeant de vie. » (Comm. sur le Gorgias, dans M. Cousin, Fragments de Philosophie ancienne, p. 375.)