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LIVRE SIXIÈME.


plus elle l’a considéré avec attention, plus longtemps elle le voit[1]. C’est pour cela que les enfants ont plus de mémoire : ils n’abandonnent pas vite un objet, ils y attachent longtemps leurs regards : au lieu de se laisser distraire par une foule d’objets, ils accordent leur attention uniquement à quelques-uns d’entre eux. Ceux au contraire dont la pensée et les facultés s’occupent de beaucoup de choses les parcourent en quelque sorte et ne s’y arrêtent pas.

Si la mémoire consistait à conserver des images[2], leur nombre ne faiblirait pas ; si elle les gardait renfermées en elle-même, elle n’aurait pas besoin de réfléchir pour se les rappeler, elle ne pourrait non plus se les rappeler tout à coup après les avoir oubliées[3]. L’exercice ne fait autre chose qu’accroître l’énergie et la force de la mémoire[4], comme l’exercice que nous donnons à nos pieds ou à nos mains n’a d’autre but que de nous mettre en état de faire plus facilement certaines choses qui ne sont ni dans nos pieds ni dans nos mains, mais auxquelles ces membres deviennent plus aptes par l’habitude. Pourquoi d’ailleurs ne se souvient-on pas d’une chose quand on ne l’a entendue qu’une ou deux fois ? Pourquoi, lorsqu’on l’a souvent entendue, se la rappelle-t-on

  1. Il y a des gens qui, en une seule impression qui les émeut, contractant une habitude plus complète que d’autres par suite d’émotions nombreuses. Il y a aussi des choses dont nous nous souvenons beaucoup mieux, pour les avoir vues une seule fois, que nous ne nous souvenons de certaines autres pour les avoir mille fois vues. » (Aristote, De la Mémoire et de La Réminiscence, 2 ; p. 124 de la trad. de M. Barthélemy-Saint-Hilaire.) Voy. saint Augustin ; De Trinitate, XI, 4.
  2. Voy. Porphyre, Principes de la théorie des intelligibles, § XXV, t. I, p. LXVII. Voy. encore ci-dessus, p. 317.
  3. « Detracta specie corporis quæ corporaliter sentiebatur, remunet in memorla similitude ejus, quo rursus voluntas convertit aciem, ut inde formetur intrinsecus, sicut ex corpore objecto sensibili sensus extrinsecus formabatur, etc. » (S. Augustin, De Trinitate, XI, 3.)
  4. Voy. ci-dessus, p. 325, note 1.