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QUATRIÈME ENNÉADE, LIVRES III, IV, V.


tions qui dépendent des propriétés sensitives ; mais, pressé par l’autorité des dogmes chrétiens, il lui rend d’une main ce qu’il lui a ôté de l’autre.

Aucune des propriétés qui avaient le composé pour sujet ne peut subsister après la destruction de ce composé. Elles résident encore dans l’âme, mais elles y sont virtuellement et non actuellement : car elles ne peuvent se manifester que là où il y a des organes corporels. L’âme séparée n’est donc susceptible d’éprouver ni plaisir, ni douleur : car le plaisir et la douleur sont des modifications de la sensibilité. Cependant des textes positifs de l’Écriture et de saint Augustin affirment que l’homme, immédiatement après la mort, jouit ou souffre. Comment concilier ce qu’enseigne la philosophie avec ce que la foi ordonne de croire ? Saint Thomas résout la difficulté en disant : « Tristitia et gaudium sunt in anima separata, non secundum appetitum sensitivum, sed secundum appetitum intellectivum. » (Summa, pars I, quœst. 17, art. 8 ; Quodlib. quœst., de anima, art. 19.)

Cette modification dans les facultés amène nécessairement un changement dans le mode de connaissance. Et d’abord, on peut se demander si l’âme séparée conserve la science acquise avant la séparation et comment elle la conserve.

Nous laisserons saint Thomas répondre lui-même brièvement à cette double question :

Anima separata duobus modis cognoscit, uno modo per species sibi infusas in ipsa separatione, alio modo per species quas in corpore accepit. » (Quœst. quodl., de anima, art. 2.)

« Habitus scientiæ hic acquisitæ secundum quod est in intellectu manet in anima separate, quum intellect us sit incorruptibilis. — Manet in anima separata actus scientiæ hic acquisitæ, sed non secundum eumdem modum. Per species intelligibles hic acquisitas anima separata potest intelligere quaæ prius intellexit. — Habebunt etiam animæ separatæ determinatam cognitionem eorum quæ prius hic sciverunt, quorum species intelligibiles conservantur in eis. » (Summa, pars I, q. 19, art. 5 et 6.)

Passant ensuite à la science acquise depuis la séparation, le saint docteur nous dira en quoi elle consistait et comment il en concevait l’acquisition.

Il reconnaît que, dégagée des liens corporels, l’intelligence pourra s’exercer dans un champ en quelque sorte illimité ; qu’elle ne sera plus astreinte à former ses idées par la voie lente et pénible de l’abstraction travaillant sur les données sensibles ; elle n’aura pour les faire éclore qu’à s’exposer à l’action bienfaisante