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TRAITÉ SUR LE PRÉCEPTE CONNAIS-TOI TOI-MÊME.


nous connaître nous-mêmes, non pour nous livrer à l’étude de la philosophie, mais pour arriver au bonheur par l’acquisition de la sagesse. En effet, trouver notre essence réelle, la connaître véritablement, c’est acquérir la sagesse ; or, le propre de la sagesse est d’avoir la science véritable de l’essence réelle des choses, et la possession de la sagesse conduit au véritable bonheur[1].

III. [Livre IV.] Comme en descendant ici-bas nous revêtons l’homme extérieur, et que nous tombons dans l’erreur de croire que ce qu’on voit de nous est nous-mêmes, le précepte Connais-toi toi-même est fort propre à nous faire connaître quelles facultés constituent notre essence. Platon, en mentionnant dans le Philèbe le précepte Connais-toi toi-même, distingue trois espèces d’ignorance à cet égard[2]. L’ignorance de soi-même est donc un mal sous tous les rapports, soit qu’ignorant la grandeur et la dignité de l’homme intérieur[3] on rabaisse ce divin principe, soit qu’ignorant la bassesse naturelle de l’homme extérieur on ait le tort de s’en glorifier. C’est qu’alors on ne sait pas que la nature se joue de toute chose mortelle,

Comme, sur les bords de la mer, un enfant
Qui a, de ses mains délicates, élevé des édifices de sable
Les pousse ensuite du pied et les confond en se jouant[4].

  1. Proclus interprète dans le même sens le précepte Connais-toi toi-même : « La doctrine exposée dans les dialogues de Platon et la philosophie en général nous paraissent avoir pour principe fondamental la connaissance de notre nature. En la prenant sagement pour base de nos spéculations, nous saurons avec exactitude quel est le bien qui nous convient et quel est son contraire : car la perfection des êtres diffère selon leur essence et leur rang… Le précepte Connais-toi toi-même inscrit sur le fronton du temple de Delphes indiquait, je crois, la manière de s’élever à Dieu et le moyen le plus sûr de se purifier. Il disait aux esprits capables de le comprendre que celui qui se connaît lui-même peut, en débutant ainsi par le vrai principe, s’unir au Dieu qui nous révèle toute vérité et nous guide dans la vie purificative ; tandis que celui qui s’ignore lui-même, étant un profane, un homme non initié aux mystères, ne saurait participer aux bienfaits d’Apollon. La connaissance de soi-même est donc le principe de la philosophie et de la doctrine de Platon. » ({{abréviation|Comm. sur l’Alcib.|Commentaire sur l’Alcibiade, t. II, p. 2, 13).
  2. Platon, Philèbe, t. II, p. 410 de la trad. de M. Cousin. Porphyre avait composé sur ce dialogue un Commentaire qui est cité par Olympiodore (Scholies sur le Philèbe, p. 239, 262, dans le Platonis Philebus de Stalbaum, Leipsick, 1821), et par Simplicius (Comm. sur la Physique d’Aristote, III, 104).
  3. Cette expression est empruntée au Philèbe de Platon, t. II, p. 408 de la trad. de M. Cousin.
  4. Homère, Iliade, XV, vers 365-367.