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LIVRE DEUXIÈME.


connaîtrions en Dieu une espèce de prévision et de raisonnement [semblables à la prévision et au raisonnement de l’artiste qui, avant d’exécuter une œuvre, délibère sur chacune des parties qui la composent[1]], et nous supposerions que cette prévision et ce raisonnement étaient nécessaires pour déterminer comment l’univers pouvait être fait et à quelles conditions il devait être le meilleur possible. Mais, comme nous disons que le monde n’a pas commencé d’être et qu’il existe de tout temps[2], nous pouvons affirmer, d’accord avec la raison et avec notre croyance [à l’éternité du monde], que la Providence universelle consiste en ce que l’univers est conforme à l’Intelligence et que l’Intelligence est antérieure à l’univers (τὸ ϰατὰ νοῦν εἶναι τὸ πᾶν ϰαὶ νοῦν πρὸ αὐτοῦ εἶναι (to kata noûn eînai to pan kai noûn pro autoû eînai))[3], non dans le temps (car l’existence de l’Intelligence n’a pas précédé celle du monde), mais [dans l’ordre des choses], parce que l’Intelligence précède par sa nature le monde qui procède d’elle, dont elle est la cause, l’archétype et le paradigme (αἴτιος, ἀρχέτυπον, παράδειγμα (aitios, archetypon, paradeigma))[4] et qu’elle fait toujours subsister de la même manière[5].

Or voici de quelle manière l’Intelligence fait toujours subsister le monde :

L’Intelligence pure et l’Être en soi constituent le monde véritable et premier [le monde intelligible], qui n’a pas

  1. Voy. Enn. VI, liv. VII, § 1.
  2. Voy. le tome I, p. 263-265, et les notes.
  3. On voit que, par l’expression de Providence universelle, πρόνοια τοῦ παντός (pronoia toû pantos), Plotin entend l’Intelligence antérieure à l’univers, νοῦς πρὸ τοῦ παντός (noûs pro toû pantos). Mais Proclus donne une tout autre étymologie au mot πρόνοια (pronoia) ; il prétend que ce mot signifie l’action du Bien, laquelle est antérieure à l’Intelligence, πρό, νοῦς (pro, noûs). (De Providentia et Fato, V ; t. I, p. 15, éd. de M. Cousin.) L’étymologie donnée par Plotin nous paraît être la véritable.
  4. Voy. le passage de Philon cité dans les Éclaircissements du tome I, p. 525.
  5. Le début de Leibnitz, dans sa Théodicée (I, § 7), ressemble tout à fait à celui de Plotin : « Dieu est la première raison des choses, etc. »