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LIVRE DEUXIÈME.

n’existe pas à cause du désordre, ni la loi à cause de l’illégalité, comme quelques-uns le croient ; en général, ce n’est pas à cause du pire que le meilleur existe et se manifeste[1]. Au contraire, le désordre n’existe qu’à cause de l’ordre, l’illégalité qu’à cause de la loi, la déraison qu’à cause de la raison, parce que l’ordre, la loi et la raison qu’on voit ici-bas ne sont qu’empruntés. Ce n’est pas que le meilleur ait produit le pire, c’est que les choses qui ont besoin de participer au meilleur en sont empêchées, soit par leur nature, soit par accident, soit par quelque autre obstacle[2]. En effet, ce qui n’arrive à posséder qu’un ordre emprunté peut en demeurer privé, soit par un défaut inhérent à sa propre nature, soit par un obstacle étranger. Les êtres s’entravent mutuellement sans le vouloir, en poursuivant un autre but. Les animaux dont les actions sont libres inclinent tantôt vers le bien, tantôt vers le mal[3]. Sans doute, ils ne commencent pas par incliner vers le mal ; mais, dès qu’il y a une déviation légère à l’origine, plus on avance dans la mauvaise voie, plus la faute augmente et devient grave. En outre, l’âme est unie à un corps, et de cette union naît nécessairement la concupiscence. Or, quand une chose nous frappe au premier aspect et à l’improviste, et que nous ne réprimons pas immédiatement le mouvement qui se produit en nous, nous nous laissons entraîner par l’objet vers lequel nous portait notre inclination. Mais la peine suit la faute, et il n’est pas injuste que l’âme qui a con-

  1. « Le parfait est plus tôt que l’imparfait, et l’imparfait le suppose. Comme le moins suppose le plus, dont il est la diminution, et comme le mal suppose le bien, dont il est la privation ; ainsi il est naturel que l’imparfait suppose le parfait dont il est, pour ainsi dire, déchu. » (Bossuet, De la Connaissance de Dieu et de soi-même, IV, 6.)
  2. Chrysippe disait que les maux arrivent par conséquence ou par concomitance, ϰατὰ παραϰολούθησιν. Voy. Leibnitz, Théodicée, II, § 209.
  3. Voy. le mythe des deux coursiers dans le Phèdre de Platon (t. VI, p. 48 de la trad. de M. Cousin).