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Page:Plotin - Ennéades, t. III.djvu/65

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CINQUIÈME ENNÉADE.


un tel éloignement de Dieu (ἀπόστασις (apostasis))[1] qu’elles ignorent même qu’elles en ont reçu la vie. De même que des enfants séparés de leurs familles dès leur naissance et nourris longtemps loin d’elles en arrivent à méconnaître leurs parents ainsi qu’eux-mêmes ; de même les âmes, ne voyant plus ni Dieu ni elles-mêmes, se sont dégradées par l’oubli de leur origine, se sont attachées à d’autres objets, ont admiré tout plutôt qu’elles-mêmes, ont prodigué leur estime et leur amour aux choses extérieures, et, brisant le lien qui les unissait aux choses divines, s’en sont écartées avec dédain. L’ignorance où elles sont de Dieu a donc pour cause leur estime des objets sensibles et leur mépris d’elles-mêmes. Comme chacune d’elles admire et recherche ce qui lui est étranger, elle reconnaît par là même qu’elle vaut moins. Or, dès qu’elle croit moins valoir que ce qui naît et périt, qu’elle se regarde comme plus méprisable et plus périssable que les objets qu’elle admire, elle ne saurait plus concevoir la nature ni la puissance de Dieu.

Pour convertir à Dieu les âmes qui se trouvent dans de pareilles dispositions, pour les élever au Principe suprême, à l’Un, au Premier, il faut raisonner avec elles de deux manières. D’abord, on doit leur faire voir la bassesse des objets qu’elles estiment maintenant (nous en avons parlé suffisamment ailleurs[2]) ; puis, il faut leur rappeler l’origine et la dignité de l’âme. La démonstration de ce second point est [logiquement] antérieure à celle du premier ; exposée avec clarté, elle sert à l’établir.

Nous allons donc aborder la discussion du second point.

  1. Ce passage de Plotin est reproduit presque textuellement dans un morceau de saint Augustin que nous ayons cité in extenso dans le tome II, p. 547 : « Recordare, si placet, satis nos superius tractasse superbia labi animant ad actiones quasdam potestatis suæ, et, universali lege neglecta, in agenda quaædam privata cecidisse, quod dicitur apostare a Deo, etc. »
  2. Voy. Enn. I, liv. III, § 1 ; t. I, p. 63.