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Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/145

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deuil cessait. C’est que Lycurgue ne voulait pas les laisser un seul instant dans l’oisiveté et dans l’inaction. Il unissait toujours, aux devoirs de nécessité, un encouragement pour la vertu, une critique du vice ; et il n’y avait pas de coin dans la ville qu’il ne remplit d’exemples. C’est parmi ces exemples que les citoyens étaient élevés : ils les avaient sans cesse devant les yeux ; et c’était une force invincible qui les entraînait au bien, et qui les y façonnait sans cesse.

Voilà pourquoi il ne permit pas indifféremment au premier venu de voyager et de courir le monde. Il craignait que les citoyens n’apportassent avec eux les mœurs des autres pays et des exemples de vie licencieuse, et qu’ils ne se fissent, sur le gouvernement, des idées contraires aux siennes. Bien mieux, il chassa de Sparte tous les étrangers qui y venaient sans but utile[1] ; non qu’il craignît, comme l’a cru Thucydide, qu’ils imitassent la forme de son gouvernement, et qu’ils apprissent à pratiquer la vertu, mais plutôt de peur qu’ils ne fussent, à Sparte, des maîtres de vice. En effet, avec des personnes nouvelles, il entre nécessairement aussi dans une ville de nouveaux propos : or, à propos nouveaux nouvelles façons de voir ; et ces sentiments ne manquent jamais de faire germer une foule de passions et de désirs, qui troublent l’ordre politique, comme, dans la musique, les faux tons détruisent l’harmonie. Il fallait donc, pensait Lycurgue, prémunir une ville contre la corruption des mœurs, avec plus de soin encore qu’on n’en repousse les personnes infectées de maladies contagieuses.

Il n’y a, dans ce qu’on vient de voir, aucune trace de l’injustice et de la violence qu’on reproche quelquefois aux lois de Lycurgue. Elles étaient, dit-on, très-propres à inspirer du courage, mais fort peu à faire

  1. Un étranger, en se soumettant aux usages de Sparte, pouvait être admis au nombre des citoyens.