Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 4.djvu/638

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supplice à travers le Forum, battait des mains, et criait que c’était une procession sainte, agréable aux dieux mêmes ; mais que les dieux et les hommes demandaient en outre la mort du maître et du précepteur de la tyrannie, de Tigellinus. Mais cet honnête personnage avait pris les devants : il avait gagné Vinnius, en lui donnant des arrhes considérables. Ainsi Turpilianus, qui n’était devenu odieux que parce qu’il n’avait ni haï ni trahi un maître méchant, sans avoir jamais trempé dans les crimes de Néron, fut condamné à mort ; tandis que Tigellinus, après avoir rendu Néron digne de mort, et l’avoir abandonné et trahi, échappait au supplice : preuve évidente qu’il n’y avait rien dont on dût désespérer, et qu’on ne fût sûr d’obtenir de Vinnius à prix d’argent.

Cependant le peuple romain désirait ardemment de voir conduire Tigellinus au supplice : il ne cessait de le demander, dans les jeux du théâtre et du cirque ; jusqu’à ce que l’empereur les en reprit par une affiche publique, laquelle portait que Tigellinus, étant attaqué d’une phthisie qui le consumait, avait peu de temps à vivre ; qu’en conséquence Galba les priait de ne le point aigrir, et de ne pas chercher à rendre sa domination tyrannique. Cette publication mécontenta fort le peuple ; mais Tigellinus et Vinnius firent si peu de cas de la colère des citoyens, que le premier offrit un sacrifice aux dieux sauveurs, et prépara un festin magnifique ; et que l’autre, après avoir soupé avec l’empereur, alla passer la soirée chez Tigellinus, menant avec lui sa fille, qui était veuve alors, et à laquelle Tigellinus, en buvant à sa santé, fit don de deux cent cinquante mille drachmes[1]. Tigellinus ordonna en même temps à la première de ses concubines d’ôter le collier qu’elle portait, et qui était estimé cent

  1. Environ deux cent vingt-cinq mille francs de notre monnaie.