Page:Poésies de Malherbe.djvu/10

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mener cette troupe contre la peste, ne se retira pas qu’il n’eût vu le dernier vivant arborer le drapeau noir sur les murailles.

C’était là une merveilleuse école pour Malherbe, et on ne peut douter que l’aspect de ces calamités, presque toujours inséparables des guerres civiles, n’ait contribué à lui enseigner ce langage inexorable qui, dans les rudes conseils donnés plus tard à Louis XIII, a pu passer quelquefois pour du fanatisme religieux.

Ce serait étrangement se méprendre que de regarder Malherbe comme un fanatique. Le spectacle des guerres de religion le ramène, il est vrai, par moments au souvenir de la croisade, et son imagination parfois se préoccupe de l’Orient. Mais c’était là pensée de gentilhomme qui ne veut pas oublier que ses aïeux ont vu la Terre-Sainte ; pensée de poète qui cherche dans les grandeurs du passé de brillantes analogies qui couvrent les tristesses du présent. Ce n’était nullement ferveur de catholique et renaissante furie de vieux ligueur. Loin de là, Malherbe semble n’avoir rapporté des expériences de sa jeunesse qu’une sorte d’indifférence religieuse. C’est le malheur des guerres de religion de laisser le doute et l’indifférence après elles. Il en fut ainsi pour Malherbe ; nous citerons en témoignage quelques anecdotes de sa vie.

Lorsqu’en 1614 s’ouvrirent à Paris ces états-généraux qui, tout impuissants qu’ils furent, essayèrent à plusieurs reprises de poser les prémisses de ceux de 1789, les évêques ayant menacé de mettre la France en interdit, comme M. de Bellegarde faisait mine de trembler : « Eh bien ! lui dit Malherbe, tant mieux pour vous ! quand vous serez noir comme les excommuniés, vous n’aurez plus besoin de vous peindre la barbe et les cheveux. »

Un jour, de compagnie avec Racan, il était allé voir aux Chartreux un certain père Chazerey. On voulut, avant de les introduire, que chacun d’eux dit un Pater,